Empoisonnés par les déchets qui envahissent leurs rues dans les quartiers les plus huppés jusqu’aux bidonvilles, engloutis sous les ordures ménagères, des Libanais, toutes classes et confessions confondues, se sont retrouvés autour d’un même slogan à double sens, «Vous puez», qui vise autant les déchets qu’une large classe politique. Les manifestants, mobilisés par le dégoût et l’incurie de l’administration de l’Etat dans toutes ses branches, ont soudain pris conscience de la seule occasion de se faire entendre et d’exprimer leur dégoût en criant haut et fort leur mal-être dont ils rendent responsables la classe politique. Le pays du Cèdre est devenu quasiment invivable. Pour compléter le tableau polluant aux conséquences néfastes, les pénuries d’eau, les coupures d’électricité et la double facture – si tant que tout le monde ait les moyens de l’assumer-, les enfants de plus en plus privés d’écoles et particulièrement exposés aux virus et aux microbes… La nature s’est mise de la partie avec une tempête de sable incontrôlable.
La mobilisation autour du thème Vous puez a porté ses fruits. Une foule nombreuse a répondu à l’appel d’une jeunesse qui, à ce jour, n’a pas encore trouvé sa place dans les sphères politiques. Ce mouvement a redonné l’espoir, si minime, d’une possible mobilisation autour de thèmes touchant au quotidien de la société civile.
Le sit-in organisé devant le ministère de l’Environnement et les appels retentissants à la démission de Mohammad Machnouk, ministre pour la première fois et bouc émissaire d’une incurie dont les effets remontent à des années, ne sont pas justifiés. Peut-il être le seul responsable des défaillances, pour ne pas dire des corruptions? Son retrait du comité chargé de régler le problème chronique inacceptable des décharges suffira-t-il à vider les rues des monticules polluants?
Mais très vite, alors que les monticules de déchets, à l’origine du mouvement populaire, sont toujours omniprésents dans les quartiers de la capitale et dans nombre de régions du pays, les organisateurs et meneurs du mouvement du 29 août sont dépassés par les divisions politiciennes inhérentes à la gestion du pays. Leurs objectifs n’ont pas manqué de se perdre dans la masse de revendications qui désarçonnent le peuple et ternissent encore plus le souffle nouveau auquel naïvement il avait cru. Les jeunes ne sont pas pour autant découragés. Leur avenir est en jeu et leurs paris sont trop importants pour leur permettre de se décourager.
C’était sans compter avec la rapide dégradation due à l’infiltration dans les rangs des manifestants de voyous et d’éléments subversifs, qui ont provoqué l’intervention des forces de l’ordre sans arrêter un mouvement en marche et qui, de toute évidence, ne s’arrêtera pas aussi vite.
Les manifestations se sont ainsi succédé de semaine en semaine. Le but final est le même pour tous: sortir de l’impasse. Mais les moyens d’y parvenir se contredisent et les obstacles à l’entente des uns et des autres semblent infranchissables.
Faisant taire ceux qui doutaient encore de la possibilité du général Michel Aoun à mobiliser ses partisans et ceux qui soutiennent sa politique, la foule a répondu massivement à son appel du 4 septembre à donner la priorité à l’élection d’un chef d’Etat fort élu, faute d’un vote parlementaire, par un suffrage universel en faisant fi de la Constitution et du régime. Et ce n’étaient plus les centaines de manifestants qui, comme cela avait été dit, il n’y a pas si longtemps, mais une foule imposante de supporters venus au rendez-vous prouvant une bien plus grande puissance de mobilisation chez les partisans du courant ou du général. Toutefois, les projets et les thèmes avancés par Michel Aoun ne font pas l’unanimité dans les rangs de ses supporters. Les propositions, si elles devaient être envisagées, ne pourraient s’appliquer dans l’urgence.
Le dialogue auquel appelle le chef du Parlement, dont le mandat a été renouvelé à deux reprises, aura-t-il plus de chance que celui des Forces libanaises avec le Courant patriotique libre ou celui du Courant du futur avec le Hezbollah? Malgré les déclarations positives des uns et des autres, il est difficile, pour ne pas dire impossible, d’y croire. De semaine en semaine, désormais nous vivrons au rythme des tables de dialogue au Parlement et de celles du Conseil des ministres. Ainsi va le Liban du XXIe siècle… L’anarchie et le chaos en sont les maîtres mots.
Mouna Béchara