Un homme ordinaire. Il conduit une Fiat 500, poste des selfies et dîne avec les sans-abris. Dans les rues, au travail, sur les réseaux sociaux, les Américains ont déclaré leur admiration pour le pape François. A Washington, à New York et en Philadelphie, c’est un véritable vent d’air frais qui a soufflé sur le catholicisme la semaine dernière.
Sur l’avion qui l’a conduit à Rome le soir du dimanche 27 septembre, après sa première visite qui a duré presque une semaine aux Etats-Unis, le 265e successeur de Pierre a dû se sentir serein. Ses messages ont été bien reçus. Et son objectif est atteint: faire revivre la flamme, celle du catholicisme qui s’essouffle aux Etats-Unis.
Cinquante et un millions de catholiques (21% de la population) vivent aux Etats-Unis, selon le Pew research center. Les Américains forment la quatrième plus importante population de catholiques au monde. Depuis quelques années, leur nombre est en train de baisser malgré la croissance de la population hispanique, qui leur permet de se maintenir à la deuxième place derrière les protestants évangéliques. Mais pourquoi donc les catholiques se sont-ils éloignés de leur Eglise? Les raisons sont multiples, assure ce même centre de recherche américain. D’abord, ils sont en désaccord avec des enseignements sur l’avortement, l’homosexualité, le divorce. Ensuite, ils ont besoin d’une assistance spirituelle. Sans oublier qu’avec ce qu’ils entendent sur la pédophilie, beaucoup ont perdu confiance dans le pouvoir clérical. En 2002, des centaines de prêtres ont été limogés à la suite du scandale qui a éclaté un peu partout aux Etats-Unis.
Au total, l’Eglise catholique américaine a versé 120 millions de dollars aux victimes de pédophilie. C’est donc ce dossier qui est le plus épineux et que cherche à régler le Vatican. Or, qui mieux que le pape pourrait restaurer cette confiance perdue? Même avant cette visite, les proches de Jorge Mario Bergoglio savaient déjà que lui saurait séduire les Américains, surtout ces jeunes de plus en plus rebelles qui tournent le dos à leur Eglise.
De l’environnement au migrant
Avant même son arrivée sur le sol américain, le charme du pape François avait opéré sur les Américains. 70% d’entre eux et presque 90% des catholiques disaient avoir une bonne image de lui. Idem pour leur président qui, en le recevant à la Maison-Blanche, lui a dit: «Nous voyons en vous un exemple vivant de l’enseignement de Jésus». Barack Obama a rappelé les qualités qui caractérisent ce jésuite argentin: «L’humilité, la simplicité, la générosité d’esprit». Durant cette rencontre simple, plusieurs sujets essentiels ont été abordés entre les deux hommes. Mais c’est sur l’écologie que le pape s’est attardé lors de son premier discours prononcé en anglais à Washington. Il a en effet rappelé aux Américains que le «changement climatique est un problème que nous ne pouvons pas laisser plus longtemps aux générations futures». Et au cours de la 70e Assemblée générale des Nations unies, c’est un véritable cri pour l’environnement qu’il a lancé aux 193 Etats membres à New York. Il a clairement demandé qu’on mette fin aux discours sans lendemain et a invité les membres à obtenir des «accords fondamentaux» lors de la conférence sur le climat qui se tiendra à Paris à partir de fin novembre. Outre l’environnement, c’est sur l’immigration qu’a insisté celui qui rappelle qu’il est lui-même «ce fils d’un grand continent». Le pape l’a affirmé devant le Sénat. «L’Amérique ne doit pas avoir peur des étrangers parce que la plupart d’entre nous étaient autrefois des étrangers». Il a martelé qu’ici aussi la question des réfugiés se pose en profondeur. «Des milliers de personnes voyagent vers le nord à la recherche d’une vie meilleure. Nous ne devons pas reculer devant leur nombre, mais plutôt les voir comme des personnes». Le message est clair: les Américains sont invités à s’ouvrir plus sur les étrangers, à être plus humains. En Philadelphie, le souverain est même parti plus loin dans son soutien aux immigrés. «Vous apportez plein de cadeaux à votre pays d’adoption», a-t-il déclaré aux Hispaniques et aux autres croyants venus le saluer. En pleine bataille présidentielle, le parti républicain et notamment son candidat Donald Trump, qui ne rate pas une occasion de taper sur les étrangers, doivent grincer les dents. Mais ce moment n’est pas le seul qui a dû provoquer la colère du candidat. Toute la population et tous les médias ont beaucoup parlé de cette petite Sofia, 5 ans. A Washington, elle a réussi à approcher le pape malgré les gardes du corps qui lui interdisaient de passer. Elle lui remet une lettre dans laquelle on apprend que ses parents étaient des sans-papiers originaires du Mexique. Lors de cet épisode et de tant d’autres, le pape a donc rappelé sa règle numéro 1: plaider la cause de l’immigration. Il y a également une autre cause qui lui tient à cœur, celle des pauvres.
Dans ses écrits, l’ex-archevêque de Buenos Aires rappelle les dérives de l’économie capitaliste et les injustices qui en découlent. Ce sujet est très sensible ici où la simple critique du capitalisme peut transformer une personne en «marxiste». Pourtant, le pape l’a rappelé lors des allocutions. Il faut tendre la main aux pauvres et il l’a prouvé. Le seul dîner qu’il a tenu à organiser est celui qu’il a eu avec les plus démunis le soir même de son arrivée. Les associations catholiques et les ONG en ont profité pour montrer qu’aux Etats-Unis «on trouve un des taux de pauvreté les plus élevés du monde». Quant aux fidèles, ils ont salué le «pape des gens». Celui qui n’hésite pas à leur rappeler la richesse de leur histoire. En effet, devant le Sénat, le pape François est revenu sur l’histoire même des Etats-Unis en faisant les yeux doux à tous. Aux Noirs en rendant hommage à Martin Luther King et aux Blancs en se tenant sur le même lutrin qu’avait utilisé Abraham Lincoln pour son célèbre discours de Gettysburg. Economie, histoire; le pape a évoqué un autre sujet sensible devant les deux chambres du Congrès. La peine de mort, a-t-il affirmé, doit être abolie. Les Etats-Unis (avec l’Arabie saoudite et la Chine) sont l’un des pays qui exécutent le plus. «La vie humaine est le bien le plus sacré», a-t-il insisté. Les propos n’ont pas plu à tous les politiciens américains, surtout ceux qui représentent les 31 Etats américains ayant encore recours à la peine de mort. Sur ce thème et sur bien d’autres, François a montré les divisions entre les démocrates et les républicains. Dans une allusion au mariage gay, il a dénoncé «l’imposition de modèles de vie anormaux». Rappelons que beaucoup de républicains sont contre la légalisation de ce mariage, alors que les démocrates se sont réjouis lorsque la Cour suprême américaine l’a légalisé tout récemment partout aux Etats-Unis. Tout comme le président qui a posté sur Twitter: «Aujourd’hui est une grande étape dans la marche vers l’égalité». Le pape a sans doute lu ces propos (lui qui tweete très souvent et qui parle à ses millions d’abonnés très fréquemment). Mais ce n’est pas grave, car le pape l’a déjà prouvé à Washington. Entre Obama et François, le courant passe vraiment.
Pauline Mouhanna, Atlanta, Géorgie
Comme un messie
Les croyants pratiquants l’attendaient comme un messie. Il est bel et bien venu. Alors quels que soient les milliers de kilomètres qu’on traverse, quelles que soient les difficultés qu’on affronte, le rêve de le voir pour de vrai s’est concrétisé. C’est en voiture que la famille Walker a traversé le continent américain venant d’Argentine afin de le voir. Les parents, ainsi que leurs quatre enfants ont reçu un appel historique du Vatican les informant que le pape lui-même voulait les rencontrer en Philadelphie. «Vous êtes fous», aura-t-il glissé lorsqu’il les a vus. C’est exactement la réaction qu’ils attendaient mais dans leurs rêves. Les Walker tenaient un blog et postaient des images de leur long voyage que le pape suivait de près. «On a eu l’impression de revoir un vieil ami», a assuré le père de la famille.
Des Libanais en Philadelphie
Nada Salem Abi Samra n’a pas hésité à se rendre avec toute sa famille en Philadelphie. «Nous avons vu le pape», a posté la directrice du Project Roots installée à Washington. Son organisme encourage les Américains d’origine libanaise à enregistrer leur mariage libanais ou à demander leur nationalité libanaise. Sur Facebook, ils étaient plusieurs à lui demander comment ça s’est passé. «Un moment historique» que beaucoup de Libanais ont eu la chance de vivre en Amérique.