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Le tragique destin d’un chercheur

 

Alors que l’affaire des otages étrangers au Liban prend fin le 5 mai 1988 par la libération de Roger Auque, Marcel Carton, Georges Hansen, Jean-Paul Kauffmann et Jean-Louis Normandin, Michel Seurat, lui, ne fait pas partie du lot. Le 5 mars 1986, les ravisseurs avaient annoncé «l’exécution du chercheur espion spécialisé Michel Seurat». Son corps ne sera jamais retrouvé.

 

Le 22 mai 1985, le chercheur français Michel Seurat est enlevé sur la route de l’Aéroport de Beyrouth ainsi que le journaliste Jean-Paul Kauffmann. Plus tard, ce dernier est libéré. L’opération est revendiquée par le Jihad islamique qui exige de la France de cesser d’apporter son aide à l’Irak, en guerre contre l’Iran.
Marie, son épouse, raconte que, le 30 août 1985, alors que Michel était détenu depuis trois mois, il est venu pour l’anniversaire de leur fille Laetitia, accompagné de deux de ses ravisseurs à visage découvert. Il souffrait, d’après elle, d’un cancer ou d’une hépatite et aurait été achevé par ses geôliers.
Gilles Kepel et Olivier Mongin, qui rééditent le recueil des principaux articles du chercheur, écrivent, en mai 1989, sous le titre L’Etat de barbarie, qu’«il avait, en réalité, succombé, plusieurs mois auparavant, après une longue agonie consécutive aux mauvais traitements et au manque de soins, otage au fond d’une geôle libanaise. Mais la guerre du mensonge demandait que la mort de Seurat soit mise en scène».
En 1988, Marie, d’origine syrienne, lui consacre un livre, Les corbeaux d’Alep, et en juin 1988, le Centre national de la recherche scientifique – CNRS crée les Bourses Michel Seurat pour «honorer la mémoire de ce chercheur, spécialiste des questions islamiques, disparu dans des conditions tragiques». Il s’agit d’un programme visant à «aider financièrement chaque année un jeune chercheur, français ou ressortissant d’un pays du Proche-Orient, contribuant ainsi à promouvoir une connaissance réciproque et de la compréhension entre la société française et le monde arabe».

 

Plainte contre X

Le 22 mai 2002, Mme Seurat porte plainte contre X pour «enlèvement et séquestration aggravés en relation avec une entreprise terroriste». Elle rappelle également que, selon le témoignage de deux autres ex-otages français, Jean-Paul Kauffmann et Marcel Carton, son mari avait été détenu avec des otages américains dont les commanditaires des rapts ont été identifiés et condamnés.


En octobre 2005, des ossements pouvant appartenir au disparu sont découverts dans un chantier de construction, recouverts d’un simple drap de laine. C’est le Hezbollah qui annonce la nouvelle. Pour Marie Seurat, c’est une mise en scène du parti: «Le Hezbollah savait où Michel avait été enterré. Il a voulu se racheter une conduite.

 

 

 

Quand les Forces de sécurité intérieure libanaises ont retrouvé le corps de Michel, sa dépouille était enveloppée dans un lainage demeuré intact.

 

Comment est-ce possible que ce drap soit resté en bon état, alors que Michel reposait depuis vingt ans dans une zone humide près de la mer, non loin de l’aéroport au sud de Beyrouth?». Elle ajoute: «Il y a l’Iran, certes, mais il y a aussi des Libanais. Et qu’on ne vienne pas me dire qu’on ne les connaît pas; ils siègent au Parlement».
Des prélèvements osseux sont transmis par les autorités libanaises au juge antiterroriste Jean-Louis Bruguière, chargé en France de l’enquête sur sa disparition. La comparaison de l’ADN du corps retrouvé avec celui de l’un des enfants du disparu a permis l’identification formelle du corps de Michel Seurat. Le 7 mars 2006, sa dépouille, ou ce qu’il en reste, rentre en France. Le Premier ministre, Dominique de Villepin, préside une cérémonie en présence de la famille de Michel Seurat, de sa femme et de ses deux filles, Alexandra et Laetitia, qu’il avait à peine connues. A.K.

 

Un spécialiste de la Syrie

Michel Seurat, grand spécialiste de la Syrie, est né en 1947 à Bizerte en Tunisie. Il s’est installé à Beyrouth en 1971. Il est recruté, en 1981, par le CNRS, en poste à Beyrouth au Centre d’études et de recherches sur le Moyen-Orient contemporain (Cermoc). Il déménagea la bibliothèque Cermoc en pleine invasion de Beyrouth par l’armée israélienne durant l’été 1982. Il avait publié en 1983 un ouvrage sur les Frères musulmans en collaboration avec Olivier Carré.

 

 

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