Magazine Le Mensuel

Nº 3022 du vendredi 9 octobre 2015

Editorial


Les élus ont fait leur temps!

Plus rien ne devrait nous étonner. Nous aurons vu et entendu toutes sortes d’insultes et d’accusations que s’échangent les «élites» à l’exemple des protestataires. Nous pensions être blasés, mais nous n’aurions jamais cru que, accusés à tort ou non par leurs collègues, les députés en viendraient aux mains dans ce qui est censé être le lieu sacro-saint de la République, où se forgent les lois qui régissent notre vie. Honteux de ce qui s’est passé, du moins nous l’espérons, ils revendiquent la confidentialité des délibérations aux commissions parlementaires, mais le mal est fait. En demandant des comptes aux responsables de tous les secteurs publics, les manifestants, pourtant en colère et révoltés, n’en étaient pas arrivés à cette violence verbale poussée à l’extrême qui, comme on pouvait s’y attendre, devait dégénérer dans les deux cas en véritables rixes. Sous les regards ahuris des journalistes et des caméras plus indiscrètes que jamais, les «élus du peuple», contaminés par la rue ou l’inverse, ont basculé tous les obstacles, sièges et bureaux sous la coupole. Pouvaient-ils faire mieux que ceux qu’ils représentent, ceux qui occupent les rues et les médias depuis des mois? Un spectacle dont nul, de l’agressé ou de l’agresseur, offert aux Libanais à travers leurs petits écrans, et peut-être à l’étranger, ne peut être fier. L’humiliation qui frappe les parlementaires dépasse celle des citoyens aussi forte que celle-ci puisse être. Ces derniers choqués, malgré tout, sont plus que jamais persuadés de la pertinence du choix de leur slogan «vous puez», qui a pris ainsi tout son sens et sa portée.
Nul ne peut, à l’ombre de cette rixe, qui ne dit pas son nom, prédire l’avenir d’une Chambre grabataire, à laquelle les citoyens sont déterminés à demander des comptes quel qu’en soit le prix pour une population déjà en difficulté de vie. Les manifestants accusent «lesdits responsables» de corruption, mais aussi de laxisme et de connivence avec ceux qu’ils ont laissé faire en connaissance de cause sans les dénoncer quand il était encore temps. La réponse à cette situation pourrie ne peut être qu’un changement total et radical de la classe dirigeante. Hélas ce ne sera pas encore pour demain.
Le monde du XXIe siècle est devenu fou. Cette formule qui peut sembler anecdotique ne l’est pas. Bien au contraire, ce qui se passe sur la planète devient surréaliste. L’Occident qui, pour une grande partie des Libanais, était un exemple de démocratie et de sécurité, est désormais secoué par des crises à la fois économiques, sociales et même sécuritaires. Convoité hier, par ses voisins, le pays du Cèdre n’intéresse plus le monde. De toute évidence, les propos que nous rapportent les dirigeants du pays, de leurs entretiens avec leurs collègues étrangers et néanmoins amis, ne sont plus un secret pour personne. S’ils n’ignorent pas totalement les problèmes majeurs que vit le Liban, ils ne lui accordent qu’une place mineure sur leurs agendas surchargés. Le Premier ministre en personne, de retour de New York, ne cache pas sa déception. Certes, il a reçu le meilleur accueil de ses confrères, mais tout s’arrête là. Des membres de la délégation qui l’accompagnaient tirent des conclusions qui leur sont propres, mais qui tiennent la route. Le Liban, et tout le monde le sait, n’est plus une priorité pour aucun des «grands manitous» de la politique régionale et encore moins internationale. Chacun dans son langage propre nous transmet le même message: régler vos propres problèmes, nous avons les nôtres. D’aucuns tirent des conclusions peut-être hâtives mais vraisemblables: la solution au flux des migrants qui inquiète les nations pourrait être le Liban, qui abrite déjà un million et demi d’étrangers sur ses 10452 km2, soit le quart des nationaux. Il pourrait tout aussi bien en recevoir d’autres. Il ne reste plus au pays du Cèdre qu’à comprendre enfin que son seul choix est d’assumer son sort et de comprendre ce que lui coûte de continuer à discuter du sexe des anges et à garder vide le fauteuil présidentiel, en attendant que le portrait de celui qui l’occupera soit tracé dans tous ses détails. Autrement dit, hélas, à Pâques ou à la Trinité.

Mouna Béchara

 

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