Alain Biffani, directeur général du ministère des Finances, n’a pas été par quatre chemins pour analyser les implications, sur le contexte local, des évolutions financières internationales. Il a considéré que le Liban présente un cas d’école au niveau des aboutissements des déséquilibres financiers, probablement parce que tout, ou presque, y est permis et que les entraves à l’évolution naturelle provenant des déséquilibres des flux y sont minimales. Aboutissement d’une tendance longue, les déséquilibres de paiements entre nations font aujourd’hui partie du paysage économique mondial. Cet état de choses s’étend clairement à la situation locale. Il ouvre la voie à une fonction d’intermédiation sans cesse croissante, directement traduite dans les tailles de bilans des banques et les volumes de transactions financières. Intervenant à une table ronde organisée par l’Université Saint-Joseph (USJ) sur le thème Enjeux financiers internationaux, Biffani a considéré que la variable d’ajustement n’est plus la monnaie depuis 1987, avec la dollarisation de fait qui s’est produite alors, relayée ensuite par la politique du taux de change fixe. Au Liban de ces dernières décennies, l’ajustement des déséquilibres se fait par le chômage et par le double flux migratoire: émigration et immigration.
Quel niveau d’endettement?
On est tellement persuadé de l’inéluctabilité de l’émigration que les dépenses d’une famille libanaise sur l’éducation s’assimilent beaucoup plus à un investissement qu’à une dépense, par préparation à l’émigration des jeunes (en 2009, 13,1% du PIB libanais dont 9,1% privé et 4,1% public, alors que la France totalise 6,2% du PIB dont 0,4% dans le privé). Avec les déséquilibres locaux et les surplus du Golfe arabe, le pays du Cèdre se retrouve dans une situation où environ 60% du pouvoir d’achat est concentré entre les mains d’environ 3% de la population, ce qui justifie la tendance à ériger des murs au sein de la même société.
Contrairement à la Grèce, Alain Biffani estime que le pays est peu exposé à des prêteurs institutionnels. Néanmoins, notre marge de manœuvre est plus grande, ce qui fait porter une bien plus grande responsabilité à notre secteur financier, qui a certes déjà prouvé être tout à fait capable de réagir sous les pressions précédemment mentionnées, souligne-t-il. Les réponses à ce challenge que devrait apporter le Liban contiennent l’augmentation des crédits à l’investissement, surtout par rapport aux crédits à la consommation, et une réévaluation des prélèvements pour une meilleure redistribution.
Au-delà des petites mesures qui facilitent le cours des opérations, et comme le Liban ne fait que refléter une tendance globale sur laquelle il n’a pratiquement aucune prise, il devient impératif pour notre pays d’utiliser, chaque fois que la situation le permet, une partie de cette masse financière nominalement énorme dans l’investissement et dans le renforcement de notre cycle économique, par exemple dans l’énergie, l’environnement et l’eau, les transports, les télécommunications.. «Sinon, cette mécanique d’accumulation infinie n’aurait vraiment plus de sens, puisque nous pourrions légitimement nous demander pourquoi nous continuons à gagner du temps à un prix très élevé», conclut Alain Biffani.
Avances subventionnées
3,8 milliards de dollars de la BDL en quatre ans
Le gouverneur de la Banque du Liban (BDL), Riad Salamé, a insisté sur les capacités renforcées de financement de la Banque centrale et du secteur bancaire commercial, affirmant qu’il n’y aurait pas d’obstacles à couvrir les émissions de bons du Trésor et des eurobonds d’un montant de deux milliards de dollars. La situation monétaire est stable en dépit des perturbations sociopolitiques qui marquent la conjoncture locale par intermittence, faisant référence aux taux d’intérêt stables et à la disponibilité de liquidités sur le marché. Le patron de la BDL s’attend à une croissance des dépôts de 6% et à des avances bancaires de 5% sur une base annuelle, contrairement à la croissance économique qu’il voit proche du nul. Salamé semble avoir pris une décision ferme portant sur l’injection de nouvelles liquidités sur le marché d’un montant d’un milliard de dollars en 2016. Ce qui signifie que les banques auraient profité de 3,8 milliards de dollars au cours des quatre dernières années pour s’assurer des gains qui dépasseraient 125 millions de dollars. Sachant que le coût de gestion de ce montant est de près de 0,5% auquel on devrait ajouter un coût de base de 1% (taux d’intérêt au profit de la BDL). Les compagnies d’assurances, filiales des banques, ont également dégagé des bénéfices puisque l’octroi d’un prêt est associé à l’achat d’une police d’assurance vie et incendie.
Cherté de vie
Réunion de la commission… pour faire diversion
La Commission de cherté de vie, présidée par le ministre du Travail Sejaan Azzi, a tenu une réunion imprévue vers la mi-septembre. La fin de la rencontre n’a pas été marquée de déclarations officielles ou même de l’annonce d’une prochaine réunion. Cette commission ne s’était pas rencontrée depuis plus de deux ans et demi. Rien n’a changé, depuis, au niveau de la conjoncture pour nécessiter une telle réunion. La rencontre n’a pas manqué de susciter des questions auprès de différentes tranches de la société sur ses objectifs, ses attentes et, surtout, son timing. A priori, le projet de l’échelle des salaires dort toujours dans les tiroirs du Parlement, depuis deux ans, et les fonctionnaires n’ont pas encore encaissé la dernière augmentation de salaires approuvée officiellement, y compris les forces armées, se contentant d’un à-valoir sur leurs émoluments. A ceci il faut ajouter que l’indice des prix à la consommation a reculé de 3,6% au cours des huit premiers mois de 2015 par rapport à la même période un an auparavant. Une source du patronat, qui a requis l’anonymat, a souligné à Magazine que l’objectif de cette réunion était de faire diversion dans l’opinion publique sensible au mouvement de protestation en cours dans le pays.
Liliane Mokbel