L’intervention militaire de la Russie en Syrie a apporté d’importants changements sur la scène régionale et bouleversé les règles du jeu. C’est le Liban, pays le plus proche et le plus vulnérable, qui en ressent les effets.
L’entrée de la Russie sur le champ de bataille syrien et la dégradation des relations entre le Golfe et l’Iran, allant jusqu’à la rupture des relations diplomatiques, ont placé le Liban dans une situation délicate en faisant tomber tous les calculs bâtis sur la période qui a suivi l’accord nucléaire entre Téhéran et les grandes puissances. Celui-ci avait fait espérer des compromis régionaux, dont l’ouverture d’un dialogue saoudo-iranien, englobant la Syrie et le Liban, rendant même possible l’élection du président de la République. Mais la lecture des événements de cette nouvelle phase de l’après-guerre russe sera très différente des précédentes.
Selon certains analystes, la tension dans la région aurait pu motiver les protagonistes libanais à ne pas aggraver les risques et à isoler le pays de son environnement. Mais les compromis et la détente s’éloignent, l’attente se prolonge et la capacité du Liban à résister faiblit. C’est là que réside l’importance du dialogue actuel instauré par le président Nabih Berry. Même s’il ne s’agit que d’une entente limitée, en comparaison de la gravité de la situation, il n’en reste pas moins que cette démarche pourrait être une clé susceptible d’éviter une explosion globale.
D’aucuns craignent que le Liban, qui s’installe durablement dans le vide et la paralysie, ne connaisse le pire du fait de l’accumulation de plusieurs facteurs, notamment une radicalisation des forces et des mouvements islamistes au Liban et dans la région en réaction à l’intervention russe, qui frappe toute l’opposition syrienne et ne reconnaît pas l’existence d’une opposition modérée.
La prolongation de la guerre en Syrie bloque les possibilités d’une solution politique et rouvre la voie à des rounds plus destructeurs. Face à l’intervention russe, les sponsors régionaux des rebelles en Syrie vont augmenter les livraisons d’armes et d’équipements sophistiqués.
La complexité du conflit régional et le risque que s’y greffent des facteurs politiques, religieux, régionaux et même internationaux s’approfondissent. S’il a pris en Syrie, dans les phases précédentes, le caractère d’une guerre sunnite-chiite, il faudra y ajouter désormais, avec l’intervention russe, celui d’un conflit islamo-chrétien.
Dans le même temps, les relations vont se compliquer davantage entre le Courant du futur et le Hezbollah, à cause du climat tendu entre l’Arabie saoudite et l’Iran.
Les paris libanais contradictoires sur les développements syriens mènent à modifier les calculs et les options: le Hezbollah voit dans l’intervention russe un atout déterminant. Par conséquent, il raffermit ses positions et s’attache davantage à ses cartes… Le Courant du futur ne considère pas l’intervention russe comme une raison d’inquiétude car, pour lui, son sort ne sera pas meilleur que celui de l’intervention iranienne. Le Moustaqbal pense que l’implication de la Russie placera de nouveau la crise syrienne en tête des priorités internationales et provoquera une consolidation de l’aide apportée à l’opposition. Il en résultera une prolongation de la guerre après l’éloignement de toute solution politique.
Mais l’image est floue et prématurée, car porter des jugements et avoir des visions définitives n’est pas encore opportun. L’heure n’est pas au brouillage des cartes politiques ni aux concessions majeures… Dans la forme, en revanche, le dialogue est indispensable pour gagner du temps.
Les répercussions sur le Liban
Les Russes étaient à peine intervenus dans la guerre syrienne qu’au Liban on commençait déjà à en envisager les retombées sur la situation interne et sur l’équilibre des forces. Les lectures divergeaient, ainsi que les prévisions du fait que ce développement est de nature à renverser de fond en comble le paysage interne. Ainsi, après chaque choc qui frappe la région, le 14 et le 8 mars s’empressent de prendre des paris sur les répercussions possibles à l’intérieur en fonction de ce qui se passe à l’extérieur et il y aura toujours un perdant et un gagnant. C’est ce qui est arrivé après le choc russe. L’un des protagonistes affirme que la Russie s’est embourbée dans les marécages de la guerre entre le régime de Bachar el-Assad et l’opposition, un autre considère que les frappes russes quasi quotidiennes laissent prévoir un renversement de l’équilibre des forces militaires instauré ces derniers mois, et permettraient au régime et son armée de prendre le dessus.
Des proches du 14 mars estiment qu’on ne se débarrasse pas de Daech en introduisant de nouveaux avions dans la guerre. Seule, pensent-ils, la société est en mesure d’éradiquer cette organisation et de construire un Etat civil, où il n’y aurait pas de place pour ceux qui ont provoqué toutes les catastrophes. Ces sources pensent qu’il existe encore une occasion pour les Russes d’avoir un rôle positif et efficace, qui serait accepté par le peuple syrien, un rôle salutaire qui tiendrait compte des ambitions du peuple et qui ferait de Moscou une partie de la solution et non du problème.
Quant à la place du Liban sur l’agenda étranger dans les développements syriens, elle est, de toute évidence, inexistante.
Certaines sources mettent en garde contre l’espoir de tirer profit de l’intervention russe en Syrie pour des règlements de comptes internes et conseillent aux Libanais d’attendre avant de prendre une position non calculée, d’autant que les répercussions ne sont pas encore claires et qu’il vaut mieux d’éviter le risque d’un faux pas.
Le 8 mars confiant
Pour leur part, les sources du 8 mars (proches du Hezbollah) affirment que l’intervention russe dans la guerre syrienne laissera des traces importantes sur l’évolution des événements et constituera un point stratégique dans la balance des forces tant sur le terrain qu’en politique. Ces mêmes sources ne comprennent pas les craintes de certains Libanais sur le sort de ladite opposition modérée en Syrie, qui n’existe plus et n’a aucune présence réelle.
Les raids russes contre les groupes armés sont un message clair indiquant le début d’une nouvelle phase. Les règles du jeu ont changé non seulement en Syrie mais dans toute la région. Il semble que le 8 mars se sent plus fort que jamais. Dans sa récente mise en garde contre un effondrement du gouvernement, le secrétaire général adjoint du Hezbollah, le cheikh Naïm Kassem, a voulu faire comprendre à ses adversaires politiques que l’entêtement ne sert plus à rien. Et que les tentatives de briser le général Michel Aoun ne sont plus un enjeu au vu des grands changements provoqués par l’intervention russe. Dans ce contexte, le Hezbollah, plus serein que jamais, ne souhaite pas renverser le gouvernement mais préserver la stabilité.
Chaouki Achkouti
Le Hezbollah n’est pas surpris
Des sources bien informées affirment que le Hezbollah n’est pas surpris par l’intervention russe en Syrie. Il la prévoyait depuis de nombreux mois pendant lesquels s’est établie une coordination lors de réunions entre des officiers syriens, des experts russes et des cadres du Hezbollah. Les Russes affirment qu’ils ne seraient pas intervenus sans l’accord du régime syrien et de leur allié iranien. Cet accord a permis d’ouvrir la voie à une large coordination entre les Russes, l’armée régulière syrienne et le Hezbollah. Selon les prévisions, les quelques petites semaines prochaines seront décisives et les regards se tournent vers Idlib et Jisr el-Choughour, qui serviront de ponts de retour dans cette région, qui constitue le cœur de l’Etat syrien.