«Je suis Chamel Roukoz, commando dans l’Armée libanaise. Il y a quelques heures, j’ai été promu au grade de citoyen». C’est par ces quelques mots que le général Chamel Roukoz s’est adressé à tous ceux qui étaient venus le remercier, ce jeudi 15 octobre, à la place des Martyrs.
Depuis des mois, l’affaire des nominations et des promotions militaires faisait la Une de l’actualité locale. Plusieurs scénarios ont été imaginés et de nombreux arrangements avancés. Mais face à la malveillance des uns et à la rancœur des autres, ce qui devait s’inscrire dans la ligne normale des choses n’a pas eu lieu. Chamel Roukoz ne sera pas commandant en chef de l’armée et il passe à la retraite à la date prévue.
Presque tout a été dit sur les qualités de cet officier irréprochable et plein de courage, présent dans toutes les grandes batailles de l’armée face au terrorisme. De Nahr el-Bared, où il était aux premières lignes aux côtés du général François el-Hage, en passant par Abra jusqu’à Ersal, le général Roukoz, a toujours été l’homme de tous les combats. Pourtant, lui n’a jamais rien dit. Muet, comme cette Grande muette à laquelle il appartient, il s’est toujours barricadé dans un mutisme, laissant ses actions parler pour lui. Mais, ce jeudi 15 octobre, il est enfin sorti de son silence.
Bain de foule
On s’attendait à le voir apparaître en tenue civile étant parti à la retraite le jour même. On s’interrogeait aussi si, en ôtant son fameux uniforme, il aurait perdu de son charisme. Pourtant, en apparaissant sur l’estrade, en jean, chemise blanche et veste bleu marine, souriant, saluant la foule de la main, Chamel Roukoz a toujours la même allure et la même prestance. Devant plus de 6 000 personnes venues ce jour-là le remercier pour tout ce qu’il a accompli, il a enfin pris la parole. Un discours de quelque six minutes, bref, clair, concis, mais dans lequel il a beaucoup dit. «Je ne vais pas prendre ma retraite, parce que l’amour de la patrie ne s’arrête pas à un uniforme, un poste ou une fonction». A ces quelques mots, une salve d’applaudissements a répondu et une foule en liesse a scandé son prénom: «Chamel! Chamel!». Il a poursuivi, affirmant à tous ceux qui ont pris la peine de se déplacer: «Je resterai comme vous m’avez connu et je serai à l’échelle du pays. Il y aura entre nous plus d’une rencontre chargée de promesse, d’espoir, d’une patrie, de rêve et d’avenir».
Sur les notes des chansons patriotiques de Feyrouz, faisant fi des mesures de sécurité, il s’est fondu dans la foule, venue rien que pour lui. Tout le monde voulait le saluer, l’embrasser et se faire photographier avec lui. Ce soir-là, les seuls drapeaux que l’on voyait étaient le drapeau libanais et celui de l’armée, malgré la présence de nombreux partisans du Courant patriotique libre (CPL). On relevait notamment celle de l’ancien ministre Nicolas Sehnaoui, du député Simon Abi Ramia, de Chantal Aoun Bassil, ainsi que de l’épouse de Roukoz, Claudine Aoun, et de ses deux enfants.
Si la carrière militaire de Chamel Roukoz est bel et bien terminée, une carrière politique s’ouvre devant lui. Malgré les nombreuses interrogations et l’absence de certitude, on parle d’ores et déjà de la possibilité qu’il se présente aux élections législatives, à la place du général Michel Aoun dans le Kesrouan, et certains vont même jusqu’à avancer qu’il pourrait devenir président de la République. Quoi qu’il en soit, la sympathie et le soutien populaire dont jouit Roukoz sont indéniables. Une page est tournée, mais une autre s’ouvre devant ce brillant officier auquel on n’a rien pu reprocher que sa parenté par alliance avec le général Michel Aoun…
Joëlle Seif
Messages aux militaires
Dans sa brève allocution, le général Chamel Roukoz s’est adressé à la fois aux 60 000 soldats de l’armée et à leurs familles pour rappeler que les hommes s’en vont, mais les institutions restent. Aux commandos, il a affirmé: «C’est vous qui avez réussi à faire parvenir les commandos au plus haut niveau de fierté, de dignité et de victoire. Je suis certain que vous serez toujours un espoir pour les gens». Avec une pensée pour les martyrs de l’armée, il a affirmé que cette institution continue de véhiculer les mêmes valeurs de sacrifice, de courage, de dignité et d’amour de la patrie.