Pour la 4e année consécutive, les étudiants de l’Orient ont tranché. Sur la base des 8 romans de la deuxième sélection du prix Goncourt, ils ont nommé le lauréat du Choix de l’Orient.
Et le lauréat est: Titus n’aimait pas Bérénice de Nathalie Azoulai. Un choix qui marque, d’une certaine manière, une rupture par rapport aux quatre éditions précédentes. Les livres précédemment primés, Rue des voleurs de Mathias Enard, Le quatrième mur de Sorj Chalandon et Meursault, contre-enquête de Kamel Daoud avaient tous, d’une manière ou d’une autre, un rapport avec la région, avec le monde arabe, avec les conflits et le lien entre l’Orient et l’Occident. Un état de fait qui était souvent mentionné, relevé et contesté par certains étudiants qui, préférant s’éloigner de la réalité d’une région, recherchaient tour à tour la sensation de voyage inhérente à la littérature et l’universalité des thèmes traités. D’ailleurs, les détails du verdict le démontrent bien: le roman de Nathalie Azoulai a été choisi au second tour par 10 voix contre 6 pour Boussole de Mathias Enard et 5 pour 2084, la fin du monde de Boualem Sansal.
Témoin cette année de l’ajout de deux nouveaux pays, l’Iran et la Jordanie, qui se joignent ainsi aux huit autres (Liban, Egypte, Palestine, Syrie, Irak, Soudan, Djibouti, Emirats arabes unis), le Grand jury étudiant, composé donc de 10 pays au total représentés par 17 universités, a fait son choix. Un choix expliqué par le communiqué final, lu devant le public, à l’issue du grand débat qui a eu lieu à huis clos sous la présidence, cette année encore, de l’écrivaine libanaise Najwa Barakat. «Le roman a été sélectionné, stipule le communiqué, pour sa lecture à la fois vive et intelligente de la vie de Jean Racine. En effet, l’héroïne cherche du réconfort dans l’interprétation de l’amour selon Racine. L’écriture est fluide, souple, l’auteure souhaitant s’ouvrir à un public nombreux pour faire comprendre que la douleur est le point de départ et non pas une fin en soi. Elle souligne par son utilisation du temps présent que les sentiments dépassent à la fois l’espace et le temps. Son livre propose une réflexion sur les illusions de la passion et ses effets secondaires, incitant pourtant à se laisser prendre plutôt qu’à s’en méfier».
D’images en interprétations
A la suite de la proclamation du prix Choix de l’Orient, vendredi 30 octobre, à 16h, à l’Agora, l’ambassadeur de France, Emmanuel Bonne, a souligné, une nouvelle fois, l’importance du Salon du livre francophone qui continue de consolider le statut de Beyrouth comme ville ouverte, comme ville d’écriture et de liberté d’expression. Et de relever «l’élément de continuité du Choix de l’Orient entre l’année dernière et cette année puisque, dit-il s’adressant aux étudiants, «vous avez choisi, dans les deux cas, des livres qui font référence à de grands titres de la littérature française; L’Etranger avec Meursault, contre-enquête, et Racine avec Titus n’aimait pas Bérénice». Retour à la réalité avec les premiers mots du ministre de la Culture, Rony Araiji, qui affirme tout de go: «Pour des raisons constitutionnelles, je n’aurais pas dû faire mon premier Salon du livre et je me retrouve au second, j’espère qu’il n’y aurait pas un troisième, car cela voudrait dire que les problèmes persistent». Il a mis l’accent sur l’importance et la particularité de ce prix, car, dit-il, «il est donné à des étudiants du Moyen-Orient de juger des œuvres francophones, tissant ainsi des liens entre diverses cultures et permettant d’exercer les esprits à s’ouvrir encore plus aux cultures des autres ce qui, malheureusement, nous manque beaucoup par ces temps qui courent. Deuxièmement, vous êtes un jury particulier, car vous êtes jeunes et, généralement, les jeunes étudiants ont un esprit plus ouvert, car il est encore frais, pas encore contaminé par les idées reçues et les principes qui viennent avec la vie; le message de l’auteur est donc fraîchement reçu et décortiqué».
Laissant la parole libre aux représentants de certaines universités présents sur le podium, il leur a été donné l’occasion d’expliquer les raisons de leurs choix. Pour certains, Boussole rend compte du Moyen-Orient négligé et marginalisé depuis très longtemps. Pour d’autres, Bérénice délaissé par Titus est une image de cet Orient négligé par l’Occident; pour d’autres encore, c’est l’image de la bonté naturelle de l’homme corrompue par la société à l’instar de Racine qui, une fois installé à Paris, est devenu libertin; pour certains c’est tout simplement le retour à l’une des missions premières de la littérature de nous emmener loin, sans nécessairement être contaminée par les sujets d’actualité. Mais les sujets d’actualité sont, pour d’autres encore, la raison principale du choix notamment de 2084 de Boualem Sansal, ou des Prépondérants de Hédi Kaddour ou même d’Eva de Simon Liberati, ce récit d’une résistante qui ressemble aux femmes et aux enfants de l’Orient espérant un hasard ou une rencontre pour éviter le naufrage. Une constante semble ressortir des propos de ces étudiants, cette sensation prenante d’un Orient délaissé, tout en affichant un espoir indétrônable malgré tout, un choix à effectuer.
Nayla Rached