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Nº 3027 du vendredi 13 novembre 2015

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Exposition

Heartland-Territoire d’affects. Une terre d’amour et de désamour

Inaugurée le 24 octobre, l’exposition Heartland-Territoire d’affects donne à voir une œuvre unique de dix-sept plasticiens libanais autour du Liban, «cette terre de mémoire qui devient muse», selon la curatrice Joanna Abou Sleiman Chevalier.

«Territoire d’affects est un territoire émotionnel, d’amour, de désamour, de fusion et de rejet… Territoires d’affects se déploie sur un fil ténu, précieux, inclassable. Ce territoire qu’est «Loubnan», l’ancienne Phénicie. Le Liban aux multiples identités, remarquablement paradoxal et, pourtant, si émouvant, inspirant et vivant. On entre dans ce sujet par le singulier». Ce sont les mots de Joanna Abou Sleiman Chevalier, instigatrice et la commissionnaire de l’exposition Heartland-Territoire d’affects qui se poursuit jusqu’au 29 novembre, au Beirut Exhibition Center, Biel.
Ce singulier par lequel on entre c’est celui, ceux, à la fois multiples et uniques, de dix-sept artistes, dix-sept figures majeures de l’art contemporain libanais, vivant au Liban ou à l’étranger, qui présentent, chacun, une œuvre, antérieure ou réalisée pour ce projet, racontant leur lien, leur relation, leur rapport à ce pays. Etel Adnan, Nadim Asfar, Annabel Daou, Najla el-Zein, Simone Fattal, Fadia Haddad, Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, Gilbert Hage, Mona Hatoum, Lamia Joreige, Mireille Kassar, Hiba Kalache, Nabil Nahas, Marwan Rechmaoui, Ranya Sarakbi et Rayyane Tabet se composent et se déploient au travers d’expressions artistiques, de sensations, d’émotions piquées à même le corps, à même la chair, incrustées dans les moindres parcelles de la terre natale, la terre du cœur, là où résident la mémoire, le souvenir, l’instinct, l’instant, une odeur, une image, un doute… là où toutes ces émotions s’emmêlent et s’éparpillent pour se rejoindre au cœur d’une même œuvre, d’une relation indicible et dicible à la fois.

 

L’œuvre unique des émotions
Peinture, sculpture, poésie, architecture, vidéo, design, mixed medias… chaque œuvre est une histoire à la fois personnelle, intime et publique, une histoire qui écorche l’artiste et accroche le visiteur, l’espace d’un instant qui peut traîner dans la mémoire parce que les sensations se sont hérissées. «Il s’agit de ressentir la charge émotionnelle, dit encore Joanna Abou Sleiman Chevalier. L’œuvre est métaphore, elle est mélancolie, tristesse, joie, chacune de ces émotions et toutes à la fois. L’œuvre au corps, ce corps est fait de strates d’histoires qui se superposent pour devenir ce Territoire d’affects».
Dans le large espace du Beirut Exhibition Center, tout aussi bien compartimenté qu’ouvert, dans une scénographie signée Galal Mahmoud, en collaboration avec quelques étudiants de l’Alba, nous voilà, au détour d’un affect, emprisonnés dans la matrice Impenetrable (s version) de Mona Hatoum, constituée de barres de fils de fer barbelé, une sensation d’enlisement hypnotique de laquelle et à laquelle on ne désire pas s’extraire. Comme en écho, le monument Spectre de Marwan Rechmaoui fait jaillir la mémoire de ceux qui ont survécu à la guerre, eux-aussi emmurés, ne seraient-ils pas pareils à des fantômes, errant Là-bas, dans ce Là-bas que dressent les mots d’Etel Adnan qui se demande «Où sommes-nous? Hors de l’Histoire, de leurs histoires – à lui, à elle – puis à nouveau dedans, dans l’espace et à nouveau sur Terre, hors du ventre puis poussière, qui sommes-nous?».
Une blessure originelle, une blessure qui se renouvelle, vierge, dans l’acte répété, à l’image de cette mappemonde du corps qu’étale Annabel Daou, This bruise won’t go (Cet hématome ne part pas) morcelée de fragments de papiers et de mots, rester/partir. Une situation humaine, une existence, une vie… et le regard accoste sur les peintures émaillées de tant et de tant de détails et de nuances, comme un appel à plonger au cœur de ces Historic Dialogues, signées Hiba Kalache, ancrées dans la «psychogéographie» qui distille son travail et son œuvre.
Le parcours se poursuit au détour de cette «exposition à fleur de peau», de cet «alambic où les inconscients se rencontrent, se mélangent pour créer une œuvre unique. La connexion entre ces plasticiens, poursuit la curatrice, est le témoignage d’un lien atavique à cette terre». C’est ainsi que les huit toiles de Landscape de Fadia Haddad représentent le besoin de l’artiste d’exprimer le Liban «seulement à travers la force des éléments premiers avant que l’homme ne soit présent». Ou l’homme, cet absent, ce kidnappé durant la guerre, ce parent de Khalil Joreige qui, en duo avec Joana Hadjithomas, a retrouvé des photographies et des films lui ayant appartenu et qu’ils ont étalé en vignettes blanches ou presque blanches, laissant apparaître les traces du passé. Des traces aussi pour Gilbert Hage, laissées sur la photographie de cet oreiller, des traces de relations intimes réalisées ou fantasmées, à cheval entre l’intime, le public et le voyeurisme, comme «un objet qui demeure anodin, mais qui pose la question de l’imaginaire de la consommation»…

 

Nayla Rached
Jusqu’au 29 novembre, de 11h à 19h.

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