Magazine Le Mensuel

Nº 3027 du vendredi 13 novembre 2015

ACTUALITIÉS

Syrie. Cartographie de la mouvance radicale

Le paysage de la rébellion syrienne et, plus précisément, celui des mouvances salafistes, semble monolithique et indistinct. Cependant, il connaît depuis l’année passée de nombreux changements, notamment au niveau des groupes tout aussi importants que l’Etat islamique et le Front al-Nosra, qui occupent davantage le devant de la scène.

Contrairement à l’Armée syrienne libre (ASL), les groupes salafistes du nord et du centre de la Syrie sont parvenus, au cours de l’année dernière, à avancer dans certains secteurs comme la région d’Idlib ou d’Alep. Ces organisations comportent un nombre de combattants aussi élevé que les poids lourds, représentés par l’Etat islamique (EI) et le Front al-Nosra (la branche syrienne d’al-Qaïda), qui comptent respectivement près de 20 000 à 30 000 militants (selon les chiffres de la CIA) pour la première et 7 000 pour la seconde, selon le site de l’Université de Stanford. Ainsi, les groupes tel Ahrar el-Cham aurait entre 10 000 et 20 000 combattants, alors que Jaych el-islam en alignerait entre 10 000 et 50 000, toujours selon Stanford.
Ces groupes se distinguent de l’EI et d’al-Nosra qui, tout en étant rivaux, partagent de nombreuses similitudes au niveau idéologique, en raison de leurs liens avec la mouvance mère al-Qaïda. «Aux yeux de l’EI et d’al-Nosra, le jihad est au centre de leur idéologie qui est, par définition, transnationale», explique le cheikh syrien Hassan Dgheim au cours d’une précédente entrevue dans la zone frontalière turque de Rihaniya. Alternativement, des groupes tels que Jaych el-islam et Ahrar el-Cham se considèrent des moudjahidin, pour qui le jihad est un outil dans le combat contre le régime Assad, qui reste toutefois limité au contexte de la guerre en Syrie. Auprès de ces groupes, on retrouve Jund el-Aqsa, ayant près d’un millier de combattants et très proche de l’EI, ainsi que Jaych el-islam, une nouvelle formation qui se veut populiste et nationale, se positionnant comme une transition entre salafis-moudjahidin et l’opposition plus modérée.
 

Financement qatari
Ahrar el-Cham reste l’un des groupes  rebelles les plus importants. Selon le site de l’Université de Stanford, le groupe a été fondé fin 2011 par d’anciens prisonniers politiques libérés au début de la révolte par le régime du président Bachar el-Assad. Basée à Idlib, cette mouvance s’est également installée à Hama, Alep et Daraa et rejette l’idée d’une intervention occidentale, tout en coopérant avec les brigades de l’Armée syrienne libre, ainsi que le Front al-Nosra. «Les puissances régionales, comme le Qatar, passeraient par Ahrar el-Cham pour financer et armer le Front al-Nosra», assure une source militaire syrienne s’exprimant sous couvert d’anonymat.
Jaych el-islam opère principalement dans la banlieue syrienne de la Ghouta. Il est le résultat de la fusion d’une cinquantaine de groupes d’opposition islamistes basés à Damas. Comme Ahrar el-Cham, il est d’inspiration salafiste et dirigé par le commandant Zahran Allouche, figure charismatique de l’opposition. Jaych el-islam est soutenu financièrement par l’Arabie saoudite. Le père de Allouche prêcherait dans le royaume wahhabite depuis de longues années.
Ces deux groupes ont démontré leur capacité d’adaptation face aux dynamiques marquant la scène syrienne locale. Ils ont dernièrement tenté officiellement − tout du moins − de modérer leur discours. Ainsi Ahrar el-Cham qui, à ses débuts, disait rejeter la démocratie de type occidental, et appelait à une théocratie sunnite en Syrie, a lancé cet été une opération de séduction vis-à-vis de l’étranger par le biais d’un de ses membres, Labib Nahas, auteur de nombreux éditoriaux dans la presse occidentale. Un autre de ses membres, Abu Yazed Tafenaz, a insisté pour que les civils administrent la ville d’Idlib après la chute de cette dernière entre les mains de Jaych el-Fateh, et cela contre l’avis du Front al-Nosra.

 

Des transfuges
Similairement, Zahran Allouche a inversé ses positions antérieures prônant la charia comme base du système politique en Syrie. Le commandant, qui serait derrière l’enlèvement d’une des activistes les plus populaires de la révolte syrienne, Razane Zeitouné, a cependant intégré les organisations civiles à l’administration de la Ghouta orientale, selon le chercheur Sinan Hatahet du centre de réflexion Omran Dirasat.
Nouvellement créé, Jaych el-Cham se distingue des deux mouvances précédentes: opérant à Alep, Idlib, Hama, et comportant, selon ses propres déclarations, environ 5 000 combattants, il adopte, dès le début, un discours national et populiste. Selon le chercheur Aron Lund, dirigeant du site Syria in Crisis du Centre de réflexion Carnegie Endowment, les fondateurs du groupe seraient tous des anciens de Ahrar el-Cham, à savoir Mohammad Talal Bazerbashi (alias Abou Abdel-Rahman el-Souri), Abou Homs Ratyan, Yamin el-Naser et Mohammad Ayman Aboul-Tout (alias Aboul-Abbas el-Cham).
La plupart de ces combattants, explique Hatahet, auraient été forcés de quitter la mouvance ou l’auraient fait de plein gré. «Nous ne pouvons pas vraiment dire que les fondateurs de Jaych el-Cham soient plus modérés que les membres d’Ahrar el-Cham, ils sont juste porteurs d’un projet politique différent», explique le chercheur syrien. «Contrairement aux Ahrar, ils ont clairement déclaré qu’ils devraient abandonner les armes lorsque la guerre se terminerait». Leur objectif principal est de combattre, à la fois, le régime et l’Etat islamique. Contrairement aux Ahrar, ils ont recours au drapeau de la révolte syrienne, qui n’est généralement pas reconnu par les groupes salafistes, lui préférant la déclaration de foi musulmane.
Cette nouvelle «modération», qu’elle soit réelle ou factice, se heurte toutefois aux développements régionaux. Ainsi, l’entrée en guerre de la Russie pourrait mener – dans le cas où elle échoue à pousser rapidement les belligérants à des négociations – à un durcissement des positions des groupes salafistes moujahid et contribuer à la création d’une nouvelle coalition entre mouvances plus modérées et d’autres plus radicales. La chaîne de télévision al-Mayadeen aurait signalé, lundi 9 novembre,  l’arrivée d’un membre d’al-Qaïda (libéré récemment par l’Iran) Saïf el-Adel, qui chercherait à opérer un rapprochement entre l’EI et le Front al-Nosra.

Mona Alami

Qui a fondé Ahrar el-Cham?
Ahrar el-Cham a été marqué par plusieurs personnalités importantes, comme Abou Khaled el-Souri, aussi connu sous le nom d’Abou Omeir el-Chami, l’un des cofondateurs de la mouvance et un proche du chef d’al-Qaïda, Ayman el-Zawahiri. Hassan Abboud, un autre fondateur d’Ahrar el-Cham, était son commandant et le chef de son bureau politique avant d’être assassiné dans un attentat à Idlib. Le groupe est actuellement dirigé par Abou Yehya el-Hamawi (el-Ghab). Il est financé par le biais des réseaux islamistes dans le Golfe, notamment au Qatar.

Alliances entre radicaux
Près d’un mois après le déploiement russe en Syrie, deux groupes radicaux, Jaych el-Muhajireen wal-Ansar (composé de 1 500 Tchétchènes, Ouzbeks, Tadjiks combattant en Syrie) et le Tawhid wal-Jihad (qui comprend des militants russes) ont fait allégeance au Front al-Nosra. Parallèlement, trois autres groupes jihadistes et salafistes (al-Nosra, Ahrar el-Cham et Ajnad el-Cham) ont formé un commandement militaire commun dans la banlieue de Damas visant à affronter le régime syrien et les forces russes.

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