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Mouna Béchara

La fureur de vivre

Nous avions oublié l’ambiance des marathons annuels de Beyrouth – remplacés, depuis si longtemps, par d’autres assauts de rues pour des motifs différents – que nous pensions rêver en voyant sur nos écrans une foule en joie déambuler dans les rues de la capitale. Ils étaient très nombreux à se retrouver pour courir ensemble, tout souci mis au rancart l’espace d’une rencontre populaire et non protestataire. Il y avait des jeunes et des moins jeunes, de diverses classes sociales et religions, côte à côte. Il y avait des parents et des grands-parents, des enfants juchés sur les épaules de leurs pères, des bébés dans leurs poussettes, les yeux écarquillés ne comprenant pas ce qui se passait autour d’eux, des vieillards marchant péniblement appuyés sur des béquilles. Tous souriants et tellement heureux. Ils ne brandissaient pas de slogans et de panneaux dénonciateurs et, à la limite, menaçants. Ils participaient à la course ou l’accompagnaient tout simplement par une marche au profit d’associations humanitaires. Pendant un laps de temps très court, nous avons cru avoir rêvé. Nous avons très vite compris que nous ne dormions plus et que nous rêvions les yeux bien ouverts. Plus question ce jour-là de «Vous puez» ou «Les déchets c’est vous» ou d’autres qualificatifs aussi indigestes. Les ordures même étaient devenues presque invisibles ou du moins volontairement oubliées. Tous ceux qui participaient à ce marathon de Beyrouth, dont les représentants de 84 nations, venus rejoindre les Libanais en dépit des tristes nouvelles qui leur parviennent d’un pays qui peine à se reconstruire un Etat, affichaient un air serein et heureux. Ils étaient là autant pour le plaisir que pour l’envie de gagner surtout au profit des associations qu’ils représentent.
Malgré notre compréhension et même notre adhésion aux manifestations des militants de la société civile, qui envahissent les rues pour rappeler aux dirigeants nos problèmes et, surtout, nos droits et leurs devoirs et obligations, nous étions heureux de voir cette image d’une foule encadrée par les hommes d’une Croix-Rouge libanaise omniprésente qui, en toute discrétion, veillait au bien-être et à la sécurité des coureurs. C’était un vent d’optimisme qui soufflait presque miraculeusement en ce dimanche du 8 novembre. Un répit, hélas de courte durée, car chassez le naturel, il revient au galop. Dès le lendemain, après l’euphorie éphémère, les problèmes si fortement ancrés dans notre quotidien reprenaient leurs places. Il est difficile, pour ne pas dire impossible, de les occulter plus longtemps que l’espace d’une matinée d’automne ensoleillée.
Le réveil du lundi fut brutal. Les altercations politiques, les dissensions et les échanges contradictoires qui n’apportent rien de bon, les dialogues contre nature qui n’ont d’autre justification que de leurrer les Libanais lambda qui ne sont plus dupes, revenaient avec leur lot de tensions au quotidien. Quelle ne fut la déception de retrouver, sans transition, les citernes d’eau sillonner les ruelles étroites de la capitale pour distribuer cette eau si précieuse et si chère qui ne coule plus dans les robinets depuis belle lurette, le bruit des générateurs électriques… Le chômage des jeunes qui bat son plein. Des universitaires désespérés de trouver un emploi qui partent à l’aventure vers des «Eldorados» qui n’en sont plus. Des adolescents non scolarisés, rodés à la mendicité, qui tendent la main aux passants. Des déchets réapparus soudain sur les routes ne trouvant toujours pas preneurs et, cerise sur le gâteau, des autocollants sur les portes des immeubles ou des ascenseurs, intimant, sans pudeur et sans ironie, l’ordre aux «abonnés» de respecter leurs «dus» à l’office des «Eaux desséchées» ou à l’EDL. Enfin, mais non le moins important, nos soldats pris en otages depuis plus d’un an et dont, hélas, on ne voit pas la libération à l’horizon.
Mais même si les problèmes du quotidien ont la dent dure, la vie culturelle, le salon du livre patronné par le président du Sénat français, des auteurs étrangers venus y signer leurs ouvrages, le théâtre local, les rendez-vous avec des vedettes étrangères de différentes nationalités, les visites inattendues de personnalités politiques malgré le vide de la présidence sont autant de raisons et de preuves que les Libanais ne baissent pas les bras, ne perdent pas espoir et gardent leur fureur de vivre.

Mouna Béchara

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