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Nº 3028 du vendredi 20 novembre 2015

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Entre les mots. Le temps des grenades de Kamal Hakim. Une vie suspendue

Publié par l’Alba-Université de Balamand, Le temps des grenades est la première bande dessinée de Kamal Hakim. Une merveilleuse découverte qui vous ouvre les portes de vies suspendues…

 

Il est des livres qui vous arrachent, à votre insu, un sourire dédoublé, entre la vie et la mort, entre l’émotion piquée à vif et l’émerveillement, un sourire que vous n’oublierez pas parce que vous n’êtes pas près d’oublier le livre. La bande dessinée de Kamal Hakim, Le temps des grenades, s’insère parfaitement dans cette catégorie-là.

Le temps des grenadesc’est «l’histoire d’une famille libanaise qui s’est arrêtée en 1982…». Une phrase qui retentit sur la 4e de couverture épinglée d’une grenade, le fruit, presque vidée de son sang. Tout semble annoncer une entrée de plain-pied dans la mémoire de la guerre, une mémoire qui ne peut qu’être personnelle et collective à la fois, une histoire individuelle et familiale pour pallier l’Histoire.

L’auteur-narrateur Kamal affiche son personnage autobiographique toujours en ombre blanche comme si la vie, la sienne propre, serait suspendue, en attendant… lui-même ne le sait pas trop. En attendant de découvrir l’identité de ceux qui ont assassiné son oncle maternel, Karim… C’est là que tout commence et c’est là que tout se termine, à la seconde près où l’oncle Karim est tué. «Souvent quand quelqu’un meurt, on a tendance à l’idéaliser, on oublie ses tares et on ne garde que le meilleur, lit-on dans l’une des cases occupant, symbolique prenante, une page entière de la B.D. Alors dans le cas de Rima et Karim, assassinés brutalement, sans qu’on ne sache par qui ni pourquoi, vous pouvez imaginer ce que ça a été. Ils ont été littéralement élevés au rang de héros».

Au-delà de l’histoire personnelle et intime que Le temps des grenades dresse, Kamal Hakim glisse, tout au long de sa B.D, une multitude de détails, si humains, si vrais, tellement en rapport avec la réalité du pays, son passé, son présent et son avenir obstrué, qu’ils accrochent le lecteur sur le coup, dès la première lecture et au détour des autres qui se succèderont, en boucle, presque.

Sur fond jaune essentiellement, quand il ne prend pas la couleur bleue d’un autre espace géographique, ou bleue noirâtre pour une autre ère symbolique, avec quelques couleurs vives qui surgissent, le lecteur se laisse entraîner dans un jeu de chassé-croisé dans les dédales d’une mémoire qui se conjugue toujours au présent. Les dessins de Kamal Hakim s’instaurent par une simplicité presque brute, tout près de l’imaginaire et de la force des mots qui trépignent, implacables. Surgissent parfois des cases qui vous glacent d’effroi et de sueur froide à l’instar de cette page pleine, gros plan sur le visage du narrateur et ces mots qui retentissent: «Quand le sourire devient aussi figé et automatique, ce n’est plus de la bienveillance, mais une angoisse. Qui sévit dans notre intérieur. Le masque ne tarde pas à tomber. Tout s’effrite. Il n’existe aucun remède à ce mal. Pas même la psychothérapie. Il faut être seul et juste retirer ce sourire devant notre miroir. Le reste suivra».

En filigrane, cette idée absurde, d’une multitude de vies suspendues à la suite d’un crime qui tonne «probablement (comme) une bêtise», et qui draine tant et tant de souvenirs et d’images, toutes générations confondues. «Un dernier rendez-vous… et puis je récupère ma vie»… Mais d’autres rendez-vous attendent encore Kamal, peut-être, on l’espère, parce que le lecteur, à l’instar de celui-ci, reste habité par ce besoin de comprendre, sans haine et sans rancune, comprendre pour pouvoir dépasser, passer à autre chose, vivre avec la mémoire sans son poids paralysant, vivre avec la cicatrice sans la purulence d’une plaie mal cautérisée, pas encore cautérisée. Comment le faire d’ailleurs? Perpétuelle question libanaise à laquelle, espérons-le, chacun à sa manière, tente d’apporter une réponse, une ébauche de réponse, une tentative d’approche, à donner en partage… Là, elle se fait à travers les planches de la B.D, Le temps des grenades, que vous vous plaisez à lire et relire.

 

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