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Nº 3028 du vendredi 20 novembre 2015

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Le réseau terroriste démantelé en 48 heures. Bourj el-Brajné: quel était le but de l’attentat?

Après presque un an de relative accalmie, le Liban a de nouveau été frappé, jeudi 12 novembre, par un double attentat meurtrier perpétré à une heure de grande affluence, dans le quartier d’el-Sikkeh, à Bourj el-Brajné. Le bilan est élevé, les dégâts énormes et l’enquête a vite progressé.

 

Quarante-trois morts et plus de deux cent trente blessés. Voilà le sinistre bilan du double attentat suicide perpétré jeudi 12 novembre, peu avant 18h, dans le quartier d’el-Sikkeh, situé dans le périmètre de Bourj el-Brajné. Autant dire qu’il s’agit de l’attaque la plus violente qui frappe le Liban depuis la série d’attentats qui avaient endeuillé le pays en 2013, et de la plus meurtrière depuis la fin de la guerre civile.
C’est donc en fin de journée, alors que ce quartier populaire connaît une forte affluence, qu’un premier kamikaze circule à moto, se dirige vers un centre commercial et une boulangerie, situés à proximité d’une husseiniyé, où des fidèles sont rassemblés pour prier. Quelques instants plus tard, il actionne sa ceinture d’explosifs au milieu d’une foule dense. La bombe, comme le déterminera l’enquête, est constituée de cinq kilos d’explosifs mélangés à des billes de fer. Un dispositif clairement destiné à faire le plus de victimes possibles. L’explosion dévaste les magasins aux alentours, endommage les façades des immeubles et détruit les voitures dans un rayon d’une vingtaine de mètres. Déjà, les victimes se multiplient. Comme toujours dans les attentats au Liban, les gens du quartier accourent sur le lieu du drame, pour venir en aide aux victimes. Mal leur en a pris. Cinq minutes plus tard, un autre kamikaze, traversant la rue à 40 mètres à peine de la première explosion, active lui aussi sa ceinture. C’est un carnage. Les corps sont projetés dans tous les sens, le quartier d’el-Sikkeh offre une vision apocalyptique. Flaques de sang, lambeaux de corps côtoient débris de vitres et chaussures dépareillées. Sonnés, les habitants du quartier qui ont pu échapper à la double déflagration se rassemblent, tentent de venir en aide aux blessés. Les secouristes de la Croix-Rouge arrivent rapidement sur place, alors que les forces de sécurité, doublées des hommes du Hezbollah, bouclent le quartier et le périmètre de l’explosion. Le Liban replonge dans le cauchemar.

 

Daech revendique
Quelques heures plus tard, sans trop de surprise, l’Etat islamique publie un communiqué de revendication. Daech se félicite que «les soldats du califat» aient frappé le «bastion des hérétiques», en référence aux chiites, que l’organisation terroriste considère comme des apostats. Le communiqué s’avère conforme aux revendications du groupe, tout comme le mode opératoire que l’Etat islamique utilise fréquemment pour frapper ses cibles en Syrie tout comme en Irak.

Pour autant, c’est la première fois que l’Etat islamique revendique en son nom un attentat au Liban. Rappelons que la demi-douzaine d’attentats, qui avaient endeuillé la banlieue sud entre 2013 et 2014, avaient été revendiqués par d’autres formations jihadistes, telles que les brigades Abdallah Azzam ou le Front al-Nosra, toutes deux rattachées à al-Qaïda.

Quant aux motivations qui animent cet acte, elles n’ont pas surpris. Le double attentat de Bourj el-Brajné – comme les attaques de Paris – intervient dans un contexte difficile pour l’Etat islamique. L’organisation d’Abou Bakr el-Baghdadi a souhaité marquer les esprits sur un autre terrain que le sien, imprimant son empreinte de sang. En Syrie comme en Irak ces derniers jours, Daech a accusé plusieurs défaites significatives. En Irak, où il a perdu la ville stratégique de Sinjar, reprise en deux jours par les peshmergas kurdes, soutenus par la coalition anti-EI, conduite par les Etats-Unis, coupant ainsi l’axe reliant Mossoul à Raqqa. Défaites aussi sur le front syrien. Le 10 novembre dernier, l’armée syrienne a réussi à briser, grâce au soutien aérien russe, le siège de l’aéroport de Koueires, dans la province d’Alep, encerclé par les hommes de Daech depuis deux ans. Autre défaite cuisante, la reprise par la nouvelle force arabo-kurde soutenue par les Etats-Unis de Tal Abyad, qui constituait une voie de ravitaillement sur la frontière avec la Turquie. Les mêmes forces arabo-kurdes ont aussi enregistré des avancées dans la région de Hassaké.

Affaibli sur son terrain de prédilection, à savoir son «califat» entre la Syrie et l’Irak, l’Etat islamique réplique en se vengeant sur les alliés du régime syrien. Au Liban, avec cet attentat dans le quartier el-Sikkeh, Daech a su choisir sa cible. Car ce quartier, bien que situé dans la banlieue sud, n’est pas majoritairement affilié au Hezbollah, comme on pourrait le penser. Depuis la guerre civile, le quartier situé sur l’ancienne ligne de démarcation, à la jonction entre le camp palestinien de Bourj el-Brajné et les quartiers chiites, ne cache pas ses sympathies pour le mouvement Amal, dont les membres sont bien moins disciplinés que ceux du Hezbollah. El-Sikkeh est aussi l’endroit où officie le fils du vice-président du Conseil supérieur chiite, le mufti jaafari Ahmad Kabalan. L’objectif affiché de Daech serait donc de semer le trouble entre Palestiniens et chiites, avec des partisans d’Amal bien plus sujets aux débordements et aux actes possibles de vengeance. Si la situation a très vite été ramenée sous contrôle, avec des appels au calme de la part des différents responsables, elle aurait pu dégénérer en affrontements sectaires, entre sunnites et chiites, mais aussi en vengeance contre les réfugiés syriens et palestiniens, très nombreux dans cette zone avec le camp de Bourj el-Brajné. Les premières rumeurs post-attentat laissaient, en effet, entendre que les kamikazes qui s’étaient fait exploser étaient de nationalité syrienne et palestinienne.

 

Appel au calme de Nasrallah
Le secrétaire général du Hezbollah, conscient du danger, a d’ailleurs eu tôt fait de désamorcer les rumeurs. Dans son discours télévisé de samedi soir, Hassan Nasrallah affirme ainsi que les suspects arrêtés par les forces de sécurité sont de nationalité libanaise et syrienne. Précisant également qu’il n’y a «jusque-là aucun Palestinien impliqué». De leur côté, les différentes factions palestiniennes publient un communiqué conjoint dans lequel elles «condamnent les attentats de Bourj el-Brajné» et soulignent que «la tentative d’impliquer des noms palestiniens est un acte sournois visant à faire éclater la discorde».

Si aucun incident intercommunautaire n’a fort heureusement pas suivi le double attentat, c’est aussi parce que l’enquête a été rondement menée par les différents services de sécurité.

Dès le lendemain de l’attentat, le juge Samir Hammoud évoque un lien possible avec un suspect appréhendé la veille à Tripoli, muni d’une ceinture d’explosifs et qui comptait vraisemblablement commettre un attentat suicide dans le chef-lieu du Liban-Nord. Samedi 14 novembre, l’Armée libanaise fait circuler dans les médias et les réseaux sociaux un appel visant à identifier trois individus décédés lors du double attentat.

La lumière sur l’affaire est finalement faite dimanche, dans une conférence de presse donnée par le ministre de l’Intérieur, Nouhad Machnouk. Ses révélations sur l’enquête font froid dans le dos. Le ministre indique que le réseau «était composé de sept personnes» et que «l’opération devait viser à l’origine l’hôpital Rassoul el-Aazam», dans le quartier de Bourj el-Brajné. Une infrastructure gérée par le Hezbollah. Autant dire que si cette cible avait été atteinte, le bilan en vies humaines aurait été encore plus dramatique. Car ce sont quatre explosions, et non deux, que l’hôpital et le quartier de Bourj el-Brajné auraient dû subir. Des plans qui auraient été modifiés à la dernière minute à cause des mesures de sécurité drastiques mises en place par le Hezbollah autour de l’hôpital Rassoul el-Aazam. Deux kamikazes ont donc atteint leurs cibles, se faisant exploser l’un près de la boulangerie, l’autre, stoppé par Adel Termos, près de la mosquée. Selon des sources proches du Hezbollah, les deux autres kamikazes auraient été tués par le souffle des explosions précédentes.

Cette version est sensiblement différente de celle donnée par le ministre de l’Intérieur dimanche. Machnouk a indiqué que deux des kamikazes impliqués dans l’opération n’avaient pas pu s’infiltrer au Liban, tandis qu’un troisième aurait été arrêté.

 

Arrestations en série
Nouhad Machnouk a également annoncé l’arrestation de neuf personnes, dont sept Syriens, en lien avec les attaques suicide. Les deux autres sont de nationalité libanaise. Dimanche 15 novembre, la Sûreté générale annonce, dans un communiqué, détenir l’un des cerveaux. «Le Libanais Ahmad Rayed a reconnu avoir planifié, avec d’autres personnes, l’attentat du 12 novembre à Bourj el-Brajné. Il a transporté un des kamikazes de Syrie jusqu’au Liban-Nord et, ensuite, jusqu’à Beyrouth», apprend-on. «Il lui a également remis des armes et des munitions». Interrogé, Ahmad Rayed a avoué qu’il recevait ses ordres «d’un émir de Daech et qu’il gère un réseau entre Tripoli, Achrafié et Bourj el-Brajné». La Sûreté générale a indiqué également que «le Syrien Moustafa Ahmad Jarf a avoué avoir transféré de l’argent à des membres de ce réseau, une grande quantité d’argent a été retrouvée en sa possession». Par ailleurs, l’enquête a permis de découvrir que le «passeur», qui facilitait les mouvements des terroristes entre la Syrie et le Liban, est un Libanais originaire de Laboué. Il détiendrait une carte du parti Baas syrien pro-Assad, ainsi qu’un laissez-passer délivré par un service syrien, qui lui aurait permis de se déplacer sans problème.

Le ministre Nouhad Machnouk a également indiqué dans sa conférence de presse que le Libanais interpelé à Tripoli la veille des attentats de Bourj el-Brajné avait pour cible le quartier de Jabal Mohsen. S’il était parvenu à ses fins, la ville du Nord aurait, une fois de plus, été sujette à des troubles entre les deux quartiers rivaux, Bab el-Tebanné et Jabal Mohsen.

Enfin, pessimiste, Nouhad Machnouk prévient que l’attentat du 12 novembre ne serait «certainement pas le dernier», soulignant que «les terroristes ont clairement décidé d’attaquer le Liban».

Jenny Saleh

Adel Termos, martyr et héros
Alors que le premier kamikaze vient de se faire exploser, un deuxième terroriste se met à courir vers la mosquée, située juste en face de la husseiniyé, où des fidèles sont réunis pour la prière du soir. Un jeune homme du quartier, dont on apprendra plus tard qu’il s’agit de Adel Termos, se précipite vers lui et l’enlace, afin de l’empêcher de rejoindre la mosquée. Le kamikaze active alors sa ceinture d’explosifs, emportant avec lui le jeune homme héroïque. Le nom de Adel Termos restera dans les mémoires des Libanais pour longtemps. Agé tout juste de trente ans, père de trois enfants, originaire du quartier de Bourj el-Brajné, il n’aura pas hésité à sacrifier sa vie pour sauver celles des habitants de son quartier.

Union sacrée entre les services
C’est un véritable exploit qui a été réalisé dans l’enquête sur le double attentat de Bourj el-Brajné. Il aura, en effet, fallu à peine 48 heures aux différents services de sécurité du pays, en collaboration avec le Hezbollah, pour mettre la main sur l’ensemble du réseau impliqué. Cette réussite est due à la collaboration inédite entre la Sûreté générale, les Forces de sécurité intérieure (FSI) et le Hezbollah, qui ont échangé leurs informations pour mener à bien leurs investigations. Les services de renseignements du parti chiite ont remis les bandes vidéo des caméras de surveillance à leurs homologues des FSI pour complément d’enquête. Autre association remarquable, celle entre la Sûreté générale et les FSI. C’est la SG qui aurait fourni des informations de première main aux FSI concernant Ibrahim Jammal, le terroriste arrêté à Tripoli, le mercredi 11 novembre.
Neuf des membres du réseau sont ainsi aux mains des FSI, deux autres dans les geôles de la Sûreté générale. Cette collaboration d’un nouveau genre, saluée par l’ensemble de la classe politique, aurait été motivée principalement par la crainte de dérapages intercommunautaires.

 

 

 

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