Crise des poubelles, attentats, paralysie institutionnelle, comment continuer à attirer les clients malgré tout? Pour les professionnels du tourisme au Liban, travailler est un vrai défi au quotidien et continuer un acte de résistance. A un mois des fêtes de Noël, l’enjeu est pourtant crucial pour tout le secteur.
«Malgré tout, nous continuons». C’est ce message simple mais lourd de sens qu’ont voulu faire passer les commerçants de la rue du Liban en l’affichant comme un signe de résistance en vitrine de leurs magasins.
Les commerçants n’ont pas entrepris cette initiative à la suite des attentats de Bourj el-Barajné mais au mois d’octobre, en pleine crise des déchets. Car avant même les attentats, le secteur touristique menait déjà une vraie bataille de subsistance.
Malgré une période de relative accalmie sur le plan sécuritaire, hôtels, restaurants et commerces ont dû gérer, depuis l’été, la crise des ordures, qui a plombé l’image du pays à l’étranger et paralysé les commerces sur le plan local.
«La situation dans le pays était déjà catastrophique à tous les niveaux», explique Danielle, propriétaire d’un magasin de décoration dans la rue du Liban avec ses trois sœurs. Ce sont elles qui sont à l’origine de la pancarte de résistance.
«Quand les manifestations contre la crise des poubelles ont commencé, toute l’activité de la rue commerciale a tout bonnement été paralysée, poursuit-elle. Nous avons voulu montrer que malgré tout, nous ne lâcherons pas, nous continuerons à venir travailler, à poser des guirlandes de Noël, à préparer la saison, comme si de rien n’était».
Comme si de rien n’était, ou presque. En cette semaine suivant le double attentat de Bourj el-Barajné, la pancarte a disparu dans la vitrine de Danielle et l’enthousiasme a laissé place à la colère.
«Après les attentats de jeudi (12 novembre), puis ceux du lendemain à Paris et la découverte du repaire des terroristes dans cette même rue, j’ai arraché la pancarte de la vitrine», raconte la commerçante, furieuse.
Pour Danielle comme pour beaucoup de Libanais, les attentats de Paris ont eu le même effet qu’une bombe en plein cœur de Beyrouth. «Nous n’avons jamais vu le Liban dans un tel état, poursuit la commerçante. Nous avons même décidé de fermer le samedi».
A la réouverture du magasin le lundi suivant, la rue était désespérément vide «alors qu’ici, nous sommes pourtant bien habitués aux attentats, s’étonne Danielle. Il n’existe pas une famille libanaise qui n’est pas concernée par la France. Le Liban était doublement sous le choc».
Le moral des ménages affecté
A un mois des fêtes de Noël, les commerçants vont devoir gérer la baisse du moral des ménages, alors qu’avant même les attentats, l’activité de l’ensemble du secteur avait drastiquement chuté. «Avec la crise des déchets, j’avais déjà perdu au moins 50% de mon chiffre d’affaires par rapport à l’an passé, se lamente Danielle, et ce malgré l’accalmie sécuritaire».
C’est ce que confirme Nicolas Chammas, président de l’Association des commerçants de Beyrouth. «Nous devions faire face à une baisse de la demande, qui s’est traduite par une déflation de 4,8% sur un an et une diminution des chèques compensés de 8%, une première depuis la fin de la Guerre civile».
De l’autre côté du trottoir, les affaires semblent se porter mieux pour le boucher du quartier Michel, mais malheureusement pas pour les bonnes raisons. «Après les attentats, j’ai été contacté par une dizaine de clients sur la seule journée de lundi pour des formules «Nouvel An à la maison», explique le traiteur. Je peux vous dire que les fêtes risquent d’être très mauvaises pour l’industrie de la nuit. Personne n’a envie de sortir, on n’a jamais vu cela au Liban».
Dans la boutique de chocolat au coin de la rue, la propriétaire Eliane affiche le même constat désabusé. «Nous avons facilement perdu 50% de notre activité dès le début de la crise des déchets, explique-t-elle, et ce avant même le double attentat de Bourj el-Barajné. Nos clients arabes appelaient pour nous dire qu’ils avaient peur des microbes et des maladies. Aujourd’hui, avec les attentats, notre travail dépendra surtout du moral des ménages. Nous, commerçants, serons prêts, mais les clients seront-ils au rendez-vous? se demande Eliane.
Hôtels: guerre des prix
La même question se pose pour toute l’industrie hôtelière. «Nous n’avons pas encore eu d’annulation pour les fêtes, tout simplement car nous n’avons même pas eu de réservation, explique Jean Beyrouthi, secrétaire général de la Fédération des syndicats touristiques au Liban. Cela fait déjà trois ou quatre ans que nous avons perdu les «vrais» touristes, ceux qui réservaient. Aujourd’hui, il nous reste les expatriés libanais ou ceux qui connaissent bien la région et réservent au dernier moment, en fonction de l’actualité».
Selon les chiffres du syndicat, le taux d’occupation moyen des hôtels à Beyrouth et Jounié n’a pas dépassé les 40-45% sur le mois de novembre. Pour le mois de décembre, «il est impossible de se projeter d’ici là, explique Jean Beyrouthi, tout dépendra de la situation».
Menhem Raad, directeur de l’hébergement à l’hôtel L’Albergo prévoit, lui, un taux d’occupation de 30% pour le mois de décembre 2015 contre un chiffre de 40% l’année dernière à la même époque. «Après les attentats de vendredi, nous avons déjà eu des annulations, se désole-t-il. Le secteur hôtelier vit un véritable marasme économique depuis trois ans, poursuit-il. Nous sommes obligés de proposer des sur-classements. Comme une suite junior à 375 dollars pendant les fêtes contre un prix initial de 460 dollars».
Raad ajoute que la clientèle de l’hôtel elle-même a changé. «Il n’y a plus de vrais touristes. Nos clients sont des hommes d’affaires ou des Européens qui travaillent dans l’humanitaire. Cela affecte bien sûr nos revenus, car ce type de clientèle n’est pas là pour consommer».
L’hôtelier, comme le reste de la profession espère le retour de la résilience libanaise. «Nous, nous serons prêts pour la saison», dit-il. Nicolas Chammas conclut également sur une note d’optimisme. «Le Libanais ne baisse jamais les bras. Après les attentats, nous avons enfin constaté une amélioration politique sur le plan local, poursuit-il. Les questions de la présidentielle et de la loi électorale ont enfin été réactivées, ce qui donne une lueur d’espoir à l’économie du pays».
Un optimisme partagé par Rita Saad, directrice marketing de l’hôtel Le Gray au centre-ville. «Nous avons remarqué, au cours de ces dernières années, la remarquable résilience du Liban et la faculté des Libanais à s’adapter aux chocs, explique-t-elle. S’il est vrai que les jours suivant un attentat nous affichons une baisse de notre activité, cette dernière ne tarde pas à reprendre rapidement».
La preuve, malgré les circonstances, est que l’établissement de luxe a démarré des projets d’agrandissement de l’hôtel dès le mois d’octobre. Ce dernier comptera 18 chambres supplémentaires, deux nouveaux lobbies, ainsi que des salles d’expositions et de projections. «Nous avons lancé ces nouveaux investissements, car nous croyons au potentiel du Liban comme destination majeure en termes de culture, de patrimoine, de gastronomie et de business».
C’est aussi ce que tient à souligner Danielle, la commerçante de la rue du Liban. «Nous comptons sur la résilience libanaise, explique-t-elle. Mardi, les gens ont commencé à revenir au magasin. Ils ont besoin de penser à Noël, au retour de nos enfants au pays et à l’avenir». Aujourd’hui, plus que jamais, il est temps de remettre la pancarte en vitrine du magasin.
Soraya Hamdan
Noël, la bouée de sauvetage?
Après une année désastreuse, les professionnels du tourisme libanais misaient gros sur les fêtes de fin d’année pour compenser les opportunités manquées tout au long de l’année. «Noël devait constituer une bouée de sauvetage pour tout le secteur», explique Nicolas Chammas, président de l’Association des commerçants de Beyrouth (ACB). Les professionnels avaient en effet manqué les temps forts de l’année comme la fête de l’Adha ou encore la saison estivale en raison de la crise des poubelles. Si la demande de produits de première nécessité s’est certes maintenue grâce, notamment, à la contribution de la consommation syrienne, les ventes de produits de loisirs ou de produits de luxe ont connu une baisse vertigineuse. C’est ce que révèle l’indice de ventes au détail de la Lebanese Franchise Association. Au premier semestre, les ventes de produits de sports et de loisirs ont chuté de 44%, tandis que ceux de luxe ont diminué de 34%. Les ventes de vêtements ont, elles, diminué de 22,4%.
«Pour faire face à ces difficultés, les commerçants sacrifient les prix toute l’année, ajoute Nicolas Chammas. Certaines boutiques pratiquent même des soldes avant Noël. Malgré la situation, les Libanais ne baissent jamais les bras et seront toujours prêts», conclut-il.