Magazine Le Mensuel

Nº 3031 du vendredi 11 décembre 2015

Confidences Liban

Confidences Liban

Frangié soutenu par les Français
A l’issue de la rencontre Hariri-Hollande à Paris, les départements de l’Elysée se sont activés dans plus d’une direction… Ainsi, en l’espace de quelques heures, le palais Bustros à Beyrouth recevait un conseil clair par courrier, l’invitant à soutenir la candidature de Sleiman Frangié jusqu’au bout et souhaitant que la 16e séance parlementaire consacrée au scrutin présidentiel soit clôturée par l’élection du député du Nord. Les contacts entre l’ancien Premier ministre, Saad Hariri, et le Courant patriotique libre n’ont jamais été totalement rompus, rapporte-t-on de source locale, et la situation nécessite un surplus de tractations, l’essentiel étant de ne pas brûler les étapes, surtout que les circonstances régionalo-internationales sont plus propices que jamais à un compromis.

Qui convaincra FL et CPL?
La candidature du député Sleiman Frangié à la présidence, proposée par Saad Hariri, figurera au cœur des pourparlers prévus entre le secrétaire général du Hezbollah, sayyed Hassan Nasrallah, et le général Michel Aoun dans le cadre d’une rencontre dont les préparatifs sont en cours. Dans cette perspective, un délégué du Hezbollah s’est rendu à Rabié pour présenter au général du CPL, qui a récemment perdu son frère, les condoléances de sayyed Nasrallah et lui transmettre ce message: «Nous nous tenons à vos côtés, vous êtes notre candidat tant que votre candidature est maintenue». Parallèlement, au cours de la dernière séance du dialogue de Aïn el-Tiné, le député Nouhad Machnouk a beaucoup encouragé le conseiller politique du Hezb, hajj Hussein Khalil, de convaincre Aoun d’approuver le «compromis Frangié», le Moustaqbal prenant à sa charge d’amadouer les FL. La réponse de Khalil fut la suivante: «Nous sommes engagés avec Aoun en public et en privé. Nous avons communiqué cette position à Frangié».

La présidentielle au menu du dialogue
Le dialogue de Aïn el-Tiné sera dorénavant axé sur la présidentielle. L’adoption officielle de la candidature de Sleiman Frangié à la présidence – que devait annoncer le président Saad Hariri – a été communiquée au Hezbollah par la délégation du Moustaqbal dans le cadre des échanges bilatéraux du 21e round du dialogue, et devant les représentants du mouvement Amal. Preuve en est, le communiqué, issu de ces assises, précise que les participants ont abordé le dossier des «échéances constitutionnelles». D’après les informations qui ont filtré, chacune des deux parties s’est engagée à effectuer des démarches intensives et rapides auprès de ses alliés respectifs pour les amener à clore ce dossier.

Les questions de Hollande à Hariri
Le président de la République française, François Hollande, a posé une série de questions à Saad Hariri lorsqu’il l’a reçu à l’Elysée. Des questions concernant la première magistrature au Liban, la loi électorale et le futur gouvernement. Développant son initiative, l’ex-Premier ministre libanais a parlé d’un éventuel compromis qui porterait Sleiman Frangié au pouvoir. Il a, par ailleurs, exposé ses craintes de voir le pays s’effondrer si on ne met pas fin à la vacance présidentielle, et parlé de la confiance qu’il voue au député Frangié qui veut, lui aussi, réactiver les institutions et l’économie.
Une poursuite des négociations sur la question de la loi électorale est nécessaire, a ajouté le chef du Moustaqbal, soulignant qu’il s’était mis d’accord avec le leader des Forces libanaises (FL) à ce sujet… «Maintenant que vous avez entamé cette démarche, il va falloir la mener jusqu’au bout», a répondu le président Hollande. Hariri a aussi tenu à préciser qu’il ne s’agit pas d’un «bazar» portant sur la répartition du pouvoir. Il s’agit de combler le vide au palais de Baabda désert depuis le mois de mai 2014.

Les vœux du Vatican se réalisent
Le Vatican a finalement réussi, grâce aux multiples pressions qu’il exerce sur les grandes puissances depuis 18 mois, à créer un environnement international favorable au façonnage d’un président de la République. La réalisation des vœux du Saint-Siège, au double plan régional et international, est due à deux principaux facteurs qui prépareront le Liban à accompagner le règlement de la crise syrienne. Le premier concerne le renforcement de la stabilité en donnant à la scène libanaise un choc positif, le deuxième est en rapport avec la nécessité d’élire un chef d’Etat qui pourra siéger sur la table des négociations sur la Syrie lorsque sonnera l’heure des tractations politiques.

Frangié-Tlass: quel rapport?
La préconisation du nom de Sleiman Frangié à la présidence coïncide avec l’intensification, dans les coulisses régionales et internationales, de la recherche d’un chef de gouvernement syrien de transition qui ne bénéficie pas seulement du soutien de l’opposition. Non provocateur, ce dernier doit en même temps rassurer les alaouites pour que son accession au pouvoir puisse ouvrir la voie au départ de Bachar el-Assad à l’expiration de la période transitoire. L’opposant modéré le plus en vue qui jouit de ces caractéristiques et dont le nom est le plus souvent cité est Manaf Tlass, le fils de l’ex-ministre de la Défense, Moustafa Tlass.
La hausse simultanée des actions de Tlass en Syrie et celles du candidat Frangié au Liban n’est pas un hasard, les deux propositions visant à un règlement global de la crise syrienne qui aboutirait au départ d’Assad, tout en tranquillisant les alaouites sur l’axe Syrie-Liban.

Bonne note pour le bey
Des responsables du Golfe qualifient l’ex-ministre Sleiman Frangié de «personnalité respectable» dont ils apprécient les positions bien qu’il soit l’allié de Bachar el-Assad. Ils soulignent aussi les propos du Dr Samir Geagea qui craint que son allié Saad Hariri ne soit tenté de s’emballer trop vite en acceptant rapidement tout compromis proposé par le Hezbollah. Mais ces responsables estiment que le seul fait d’élire un président au Liban serait un facteur de détente, même si la pression exercée par la crise syrienne dans la région se poursuit. De nombreux citoyens des pays du Golfe attendent impatiemment que leurs gouvernements leur donnent le feu vert pour revenir au Liban quand la conjoncture sera meilleure.

Renforcement palestinien
La décision du renforcement de la Force sécuritaire palestinienne mixte en nombre et en équipement et son déploiement dans les camps de Bourj el-Barajné et Chatila fait l’objet de tractations fébriles après la réunion de tous les groupes palestiniens au siège de l’ambassade de Palestine à Beyrouth.
On parle, dans certains milieux, de sérieux dangers sécuritaires qui planent sur les conjonctures libanaise et palestinienne. C’est pourquoi les autorités libanaises se sont engagées à une synchronisation sur le terrain avec la Force palestinienne pour éviter la reproduction du scénario de Aïn el-Heloué. Concrètement, cela veut dire qu’il ne s’agit pas uniquement de déployer des patrouilles comme tel est le cas aujourd’hui à Bourj el-Barajné après les explosions de la banlieue sud, mais d’organiser des tournées et d’installer des barrages fixes de jour comme de nuit, en intégrant au sein de la force des éléments du Front populaire – commandement général et de Fateh Intifada.

 

Route: 3,2 morts par jour
Des activistes de la société civile critiquent les médias qui ne s’intéressent pas au drame des victimes de la route. Il est de leur devoir d’assumer la responsabilité de sensibiliser le grand public à cette tragédie quotidienne. Ils donnent pour exemple le cas de la jeune Hana Kaissi, 22 ans, écrasée par un chauffard roulant à toute vitesse qui n’a pas hésité à griller un feu rouge. Transportée à l’hôpital, la jeune fille n’a pas survécu à l’accident. Les habitants de la région et les amis de Hana se sont mobilisés pour revendiquer l’organisation d’une campagne d’éveil ayant pour objectif d’informer et de former le public au respect des lois. 3,2 personnes perdent la vie au Liban sur les routes, rapportent ces activistes, c’est un taux énorme!

Damas, nid d’espions
A la suite des attentats terroristes de Paris, les contacts se sont intensifiés entre les services de renseignements européens et syriens. C’est ce que révèlent des rapports parvenus à Beyrouth qui mettent aussi en exergue une visite effectuée par des chefs de services de renseignements français, allemands et tchèques à Damas, porteurs de trois demandes:
1-Paris souhaite que Damas lui fournisse les listes nominatives des jihadistes de nationalité française qui combattent dans les rangs de Daech et al-Nosra.
2-Les Renseignements allemands voudraient, en coordination avec les autorités syriennes, pouvoir contrôler les réfugiés qui débarquent en Allemagne, via les documents personnels de ces individus tels qu’enregistrés dans les départements officiels syriens.
3-L’établissement d’une collaboration sécuritaire franco-allemande et euro-syrienne concernant les opérations terroristes à l’étranger.
C’est la République tchèque qui a joué le rôle de parrain de cette visite et réussi à éliminer les désaccords entre Paris et Damas. Les autorités syriennes avaient posé comme condition préalable à la collaboration bilatérale des services secrets syriens et français que l’échange d’informations se fasse via les canaux diplomatiques.
Dans le cadre d’une rencontre, en début d’année, entre des médiateurs français et le chef du Conseil de sécurité national syrien, Ali Mamlouk, ce dernier avait proposé un règlement selon lequel Paris désignerait un consul ou un attaché de sécurité pour faire le suivi de ces dossiers à partir de l’une des ambassades ouvertes à Damas, l’ambassade tchèque par exemple. La France avait rejeté l’offre à l’époque, mais il semble que les Tchèques ont finalement réussi à défaire ce nœud.

Cure de jouvence pour Amal
La structure du mouvement Amal n’est pas influencée par les bains de jouvence de quelques partis libanais. Les milieux concernés estiment que le président Nabih Berry reste le chef du mouvement chiite et veille à l’application des résolutions du 13e congrès général qui s’est tenu l’an dernier. Celles-ci prévoient clairement l’injection de sang jeune au commandement. Mais le congrès a laissé au président de l’Assemblée et à ses conseillers la liberté de choisir les jeunes éléments à introduire au bureau politique, en prenant en considération les compétences, abstraction faite des grades hiérarchiques. Berry, ajoutent ces milieux, continue à donner un push à l’accession des jeunes aux postes de commandement. D’où les questions qui se posent sur le sort de certains députés et ministres de l’ancienne garde qui ne survivraient pas au large mouvement de ravalement au sein du mouvement Amal. L’action politique et structurelle du parti de Berry enregistre des progrès remarquables depuis que les jeunes ont été promus à des fonctions supérieures, il y a environ sept mois.

Le choix de Frangié renforce-t-il Assad?
Quelles sont les raisons derrière le choix d’un candidat à la présidence, proche du président Bachar el-Assad, et par conséquent du Hezbollah? Les avis sont partagés. Certains milieux du 8 mars parlent d’une volonté américaine d’encadrer la conjoncture libanaise, sujette à une détérioration qui serait favorable à certaines parties, cela en désignant une personnalité qui, d’une part, rassure Téhéran, Damas et leurs alliés et, d’autre part, consacre un état de fait empêchant un éventuel dérapage dont on ignore les conséquences. Le compromis proposé serait à la fois le résultat de l’étape post-accord sur le nucléaire et le prélude à la phase du règlement politique en Syrie. Cette candidature signifie-t-elle le départ d’Assad ou son maintien au pouvoir? Du côté du 8 mars, on estime que le compromis, actuellement sujet à débat, confirme la victoire de son axe surtout à la lumière de l’intervention russe qui a requinqué le régime sur le point de s’effondrer. Les forces du 14 mars pensent, quant à elles, que même si Assad reste au pouvoir, pour une période transitoire, il n’aura plus la même position ni la même influence dans le cadre d’une nouvelle équation politique. Un retour à la Syrie telle qu’elle était étant impossible.
Pour certains diplomates occidentaux, l’arrivée de Sleiman Frangié à Baabda est le premier résultat d’un virement en faveur d’Assad et de ses alliés.

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