Jusqu’au 15 décembre, le Yacht Club à Zaitunay Bay accueille l’exposition Haza el-masa’, une sélection de plus de 150 affiches qui raniment le cinéma libanais des années 60-70, issues de la collection privée de Abboud Abou Jaoudé. Une exposition organisée par la Fondation Liban Cinéma, présidée par Maya de Freige, en partenariat avec Bankmed, et mise en place par Nelly Zeidan. Magazine s’est entretenu avec les principaux organisateurs.
Maya de Freige
Présidente de la Fondation Liban Cinéma
Pourquoi avez-vous décidé d’organiser cette exposition?
L’un des objectifs de la Fondation Liban Cinéma est la préservation du patrimoine cinématographique et sa promotion. A partir du moment où nous avons découvert ce trésor, cette collection unique qui était enfouie dans les dépôts de Abboud Abou Jaoudé, nous nous sommes dit qu’il fallait que nous la sortions et que nous la montrions au public. J’ai fait sa connaissance durant un autre événement culturel, où nous avions rendu hommage aux Rahbani; en parallèle au concert qui avait été mis en place, nous avions monté une exposition des affiches de tous les films des frères Rahbani. A partir de là, nous nous sommes promis un jour de faire quelque chose de plus grande ampleur. Et comme il vient de sortir son livre, nous avons pensé que c’était le moment idéal pour montrer cette collection au public.
Y a-t-il une nostalgie?
Il y a une nostalgie sûrement. La fondation a des objectifs de promouvoir le Liban comme centre de production et destination de tournage, il peut l’être. Et à travers cette exposition aussi, on rappelle combien il l’a été dans les années 50-60, l’âge d’or du Liban, où il n’y a pas que des films égyptiens qui ont été tournés ici, mais aussi des films occidentaux. Rien n’empêche le Liban de retrouver ce rôle. Aujourd’hui, avec la renaissance du cinéma libanais et avec tous nos talents prometteurs, il faut que nous arrivions à faire parler du cinéma comme par le passé et comme nous le souhaitons.
Quels sont les projets à venir?
La fondation essaie de jouer un rôle fédérateur de tout ce qui est en train de se faire. Nous pensons à un grand événement cinématographique à Beyrouth qui regrouperait les multiples initiatives qui ont déjà lieu et qui sont toutes de qualité, mais les mettre dans une période de temps pour en faire une semaine importante qui puisse attirer du monde de l’extérieur. On essaie de jouer le rôle de médiateur entre le secteur privé et le secteur public, de mettre en place un environnement favorable au développement du cinéma en termes de lois, de régulations, d’incitations fiscales, de commissions de films, d’un département qui s’occupe des cinéastes.
Nelly Zeidan
Scénographe de l’exposition
Quel est le concept qui a guidé la scénographie?
J’avais entre les mains plus de 400 œuvres autour de films tournés entre les années 20 et 70, et contrairement à ce qui se passe aujourd’hui, les affiches étaient plutôt des panneaux peints à la main et reproduits en Italie et, évidemment, pas du digital. C’est vraiment un art en soi. J’ai voulu donner toute l’étendue d’une exposition d’art complète autour de ces affiches en 2015, pour montrer que l’ancien est nouveau et toujours moderne. J’ai ainsi ajouté une touche pop art et interactive avec tout le monde actuel pour montrer que ces anciennes affiches sont aussi modernes que si elles avaient été faites aujourd’hui. Tout a été fait pour ramener le visiteur dans le temps, mais en 2015.
Avez-vous effectué beaucoup de recherches et considérez-vous que c’était un vrai défi?
Il y a eu un travail autant de fond que de forme pour restituer dans cet espace tout le monde du 7e art, de manière interactive avec un coin lecture pour se poser et feuilleter des revues de 1950, une salle de projection, le bar à popcorn, les articles de presse, un photo-booth à l’extérieur… tout est fait pour que les gens s’associent à l’exposition. Bien sûr ça a été un challenge pour prendre des affiches très populaires et les placer comme dans un musée d’art contemporain. Il y a ainsi la mise en scène des affiches, la restitution de la date de chaque film et tout un pan de mur consacré aux affiches de films occidentaux tournés au Liban pour montrer que ces stars-là, comme Jean Paul-Belmondo et d’autres, on peut les ramener, il ne faut pas déchanter, notre cinéma existe.
Abboud Abou Jaoudé
Collectionneur
Comment et pourquoi est née cette collection?
Cela fait 30 à 40 ans que j’ai commencé cette collection. Tout simplement parce que j’ai commencé à aimer le cinéma, et à l’adolescence, quand on aime un acteur ou un artiste, on collectionne leurs photos. Avec le temps, cette collection grandissait. La plus grande partie des affiches, je les prenais des cinémas qui existaient au Liban et dans les pays arabes. Depuis vingt ans environ, c’est devenu un véritable objectif, je vais à la quête de ces affiches, j’ai même sur place dans les pays arabes des gens qui les recherchent pour moi, des affiches du Liban, d’Egypte surtout, mais aussi d’Irak, de Tunisie, d’Algérie… Les gens sont étonnés que je les achète quel que soit le prix en général. J’ai été dans des institutions relatives au cinéma dans les pays arabes, elles n’ont presque rien, pas d’archives de cinéma ou des acteurs, donc j’ai voulu les collectionner et les donner à voir aux gens, les préserver pour l’avenir.
Vous avez écrit un livre Haza el-masa’, en quoi consiste-t-il?
C’est un livre sur l’histoire du cinéma libanais à travers les affiches et dans le cadre de cet événement, nous avons monté cette exposition avec la Fondation Liban Cinéma et Bankmed.
Pourquoi ce titre?
Quand on allait au cinéma à l’époque, c’était la seule annonce qui surplombait l’affiche collée au mur, il n’y avait pas d’annonce du programme des salles de cinéma dans les journaux ou autres… Cette idée est toujours présente dans ma tête et on a voulu la mettre en scène.
Propos recueillis par Nayla Rached
Promenade dans un espace-temps parallèle
aCe soir, haza el-masa’. C’est au cinéma, c’est à Beyrouth. Ce sont les années 60-70 et, en même temps c’est aujourd’hui, c’est maintenant. «From Russia, Beirut, London, Rome and Byblos with Love!». La capitale libanaise, la ville cosmopolite, la ville du 7e art. Une exposition qui tonne comme un véritable cabinet de curiosités où chaque élément est à découvrir, redécouvrir, le sourire toujours aux lèvres et se faisant de plus en plus profond. Les affiches se côtoient et emmêlent les espaces et les aires, les couleurs, les visages, les souvenirs jamais vécus mais ressentis, le temps des piastres et des cornets de popcorn, de la glace frappée, du ghazel el-banet… Chouchou, Sabah, Feirouz, Doureid Lahham, Abdel-Salam el-Naboulsi, Françoise Dorléac, David Niven… Passeport pour l’oubli, Safar Barlek, Baraka à Beyrouth, Koutat chare3 el-Hamra… Certes, il y a de la nostalgie dans l’air, dans chaque recoin de cet espace de déambulation, mais ce n’est pas la nostalgie qui plombe, celle qui a la couleur de l’amertume et du désarroi, celle qui ravive les fantômes du passé. C’est la nostalgie du sourire et de tous les possibles, toujours possibles.