Magazine Le Mensuel

Nº 3032 du vendredi 18 décembre 2015

à la Une

Courant du futur, présidentielle. Hariri seul contre tous

On le savait déjà, tout ne va pas pour le mieux au sein du Courant du futur. Les dissensions et les rivalités ne sont pas récentes, elles étaient facilement perceptibles. Mais il a fallu la fameuse initiative de Saad Hariri sur la candidature de Sleiman Frangié pour faire éclater au grand jour les différends et troubler la cohésion d’un courant qui n’arrive plus à tenir le cap depuis l’absence prolongée de son chef. L’ancien Premier ministre se bat seul contre tous pour maintenir son leadership.

Malgré une volonté évidente de donner l’impression que les rangs sont bien serrés au sein du Courant du futur, il est clair, à présent, qu’en réalité rien ne va plus. L’exil volontaire de Saad Hariri n’est pas sans avoir provoqué de graves répercussions, aussi bien sur ses assises populaires que sur les principales figures de son courant. Son absence prolongée a ouvert les appétits des uns et des autres, chacun adoptant un style particulier pour se démarquer de l’autre. Si certains ont choisi la modération et l’ouverture, d’autres ont opté pour l’extrémisme et la rigueur. A chaque clash, il a fallu l’intervention personnelle de Saad Hariri pour calmer les esprits et remettre les pendules à l’heure. Mais avec son absence, qui ne semble pas devoir prendre fin de sitôt, malgré des rumeurs d’un retour imminent véhiculées la semaine dernière, les principales figures sunnites au sein du Futur cherchent à s’imposer et se voient déjà «premier ministrable». Cependant, il a fallu que Saad Hariri propose la candidature de Sleiman Frangié à la présidence et, surtout, sa propre nomination en tant que Premier ministre durant les six ans de mandat, pour faire exploser au grand jour un malaise sous-jacent. Certains ont exprimé haut et fort leur désapprobation, menaçant de claquer la porte, alors que d’autres ont révélé leur désaccord d’une manière plus subtile, gardant un profil bas.
 

Machnouk, Siniora et les autres
Le premier à réagir avec violence fut incontestablement le ministre de la Justice, Achraf Rifi, qui n’a pas hésité à menacer de présenter sa démission du gouvernement et de rompre avec le Courant du futur. La virulence de sa réaction a nécessité sa convocation à Riyad par Saad Hariri. Celui-ci a fait part de son mécontentement et de sa contrariété concernant les propos de Rifi et la campagne menée par ce dernier contre la candidature de Frangié. Le ministre de la Justice est accusé par des responsables au Liban-Nord d’être derrière la vague de protestation dans les milieux du Futur et des islamistes contre l’initiative de Hariri. Selon des sources proches du Courant du futur, la rencontre de Riyad entre les deux hommes a été courte et houleuse. Lorsque Rifi aurait proposé de discuter de la candidature de Frangié, la réponse de Hariri serait tombée comme un couperet, disant que ce sujet n’était pas discutable. Le ministre de la Justice se serait alors retiré de la réunion et rentré à Beyrouth. Il est vrai que pour Achraf Rifi, la situation à Tripoli n’est pas bonne. Le Courant du futur perdrait de sa popularité au Nord, à Tripoli en particulier, au profit de l’ancien Premier ministre Najib Mikati qui gagne du terrain. Sur un autre plan, Achraf Rifi et les députés Khaled Daher et Mouïn Merhebi mettent en garde contre un sérieux revirement de la rue au profit des groupes extrémistes et de leur idéologie.
Interrogé par le quotidien koweïtien al-Anba’ sur une lutte d’influence au sein du Futur, le député Ahmad Fatfat, qui avait exprimé son opposition à la candidature de Sleiman Frangié avant de se rétracter et d’affirmer qu’elle est toujours de mise, a nié tout conflit à l’intérieur du courant. «Le ministre Rifi n’appartient pas au Courant du futur, mais représente un principal allié. Il est haririen de cœur, mais il n’est pas tenu par les décisions du Futur. Ceci n’est pas un conflit entre plusieurs ailes. Des discussions libres et logiques ont lieu au sein du courant. Mais lorsqu’une décision est prise, elle est respectée par tous».
Même le ministre de l’Intérieur, Nouhad Machnouk, principal artisan des relations avec le 8 mars, ne montre pas beaucoup d’enthousiasme pour l’initiative de Saad Hariri même si, officiellement, il s’en tient à la décision de l’ancien Premier ministre. C’est surtout vers Fouad Siniora que les regards se sont tournés. Il est l’un des premiers opposants à la candidature de Sleiman Frangié mais il a, d’ores et déjà, affirmé qu’il n’annoncera pas une position dont il devrait se rétracter ultérieurement. C’est bien lui qui détient les finances du Futur et qui a nommé ses proches dans les postes administratifs de l’Etat. D’ailleurs, ce n’est plus un secret pour personne: la relation entre Siniora et Hariri n’est pas des meilleures et celle de Siniora avec Bahia Hariri ne serait pas bonne non plus. Depuis un mois déjà, la députée de Saïda garde ouverte la Maison du centre pour montrer clairement que Saad Hariri reste la référence et que c’est bien lui le chef incontesté du Courant du futur.
Pour tous ceux qui se voient en éventuels Premiers ministres, le retour de Saad Hariri au Liban n’arrange pas les choses, surtout que l’une des conditions qu’il a posées en contrepartie de l’élection de Sleiman Frangié, est qu’il demeure Premier ministre pendant les six ans du mandat.

 

Ahmad Hariri hué
Face à cette cacophonie au Courant du futur, une voix de plus – non moins violente – s’est élevée cette fois pour faire taire toutes les autres. «Aucune voix ne s’élève au-dessus de celle de Saad Hariri», a affirmé le secrétaire général du Futur, Ahmad Hariri, dans une tentative de mettre un terme à la vague de contestation qui a suivi l’annonce de la candidature de Sleiman Frangié. Des propos qui montrent, une fois de plus, que la base populaire ne suit plus les politiques. Ahmad Hariri a été plus d’une fois hué dans des rassemblements au Nord ou au Sud et il est de plus en plus discrédité. Ses derniers propos sur «une élection (présidentielle) dans le sang» ont, à leur tour, provoqué une vague de protestation dans tous les milieux. Ce langage a choqué les partisans avant les adversaires aux dires d’un responsable à l’intérieur du courant bleu. Ceux-ci affirment que le Futur se veut un parti démocratique et les derniers propos du secrétaire général ont fortement embarrassé ses responsables. Ils ont dû se taire face à ceux qui s’interrogent «si Hariri était tellement soucieux du pays et accepterait l’élection d’un président du 8 mars, pourquoi n’a-t-il pas accepté dès le début la candidature de Michel Aoun, mettant ainsi un terme au vide et redonnant la vie aux institutions?».
Dans une tentative d’atténuer l’effet des propos d’Ahmad Hariri, une source du Courant du futur, interrogée par Magazine, a affirmé qu’on ne devrait pas les prendre dans un sens négatif. «Ce qu’il a voulu dire, c’est qu’il ne faut pas répéter les erreurs du passé et être acculés à élire un président après des incidents sécuritaires à l’instar de ce qui s’est passé en 2008, lorsque le président Michel Sleiman a été élu dans la foulée des événements du
7 mai».

Joëlle Seif

Dis, quand reviendras-tu?
Alors qu’il paraissait presque imminent dans la foulée de la candidature de Sleiman Frangié, le retour de Saad Hariri semble de plus en plus improbable. Pour les partisans d’un prochain retour au Sérail, il est indispensable que Hariri revienne rencontrer ses alliés et réduire les tensions que son initiative a fait naître, indépendamment des résultats de celle-ci. Mais il existe au cœur du courant une lecture différente. Pour les partisans de cette opinion, deux conditions seraient nécessaires pour un retour de l’ancien Premier ministre: des résultats concrets concernant son initiative ou un règlement de ses problèmes financiers. On parle de dettes, d’un montant de plusieurs millions de dollars, dues aux employés des institutions relevant du Courant du futur. Le retour de Saad Hariri devrait apporter une solution au moins sur un point. Pour ces milieux, un retour qui n’apporterait pas avec lui une solution aux problèmes financiers serait une grave erreur. Quoi qu’il en soit, pour ou contre, tous sont d’accord sur le fait que l’ancien chef du gouvernement ne peut continuer à tenir des réunions tantôt à Riyad, tantôt à Paris et que sa présence à Beyrouth a une valeur symbolique, surtout qu’on ne parle plus d’impératifs sécuritaires justifiant son absence.

Un véritable choc pour le Courant du futur et le 14 mars
Dans un entretien avec Magazine, une source du Courant du futur reconnaît que l’initiative présidentielle de Saad Hariri a provoqué un véritable choc, aussi bien dans les milieux du 14 mars que dans celui du Futur. «Personne ne s’attendait à ce que cheikh Saad propose la candidature d’un pilier du 8 mars et d’un ami personnel de Bachar el-Assad». Mais pour cette source, les considérations de l’ancien Premier ministre étaient plus profondes. «Face à un pays dont les institutions s’écroulent, il a dépassé ses inimitiés personnelles». Cette source reconnaît, toutefois, que le public ne comprend pas le sens de ce compromis et n’arrive pas à suivre. «Il est vrai que cette initiative a provoqué une crise au sein du courant et Saad Hariri perd de son crédit populaire pour sortir le pays du marasme dans lequel il se trouve. Cette position lui fait perdre en popularité, mais il est conscient que l’intérêt du pays prime sur ses intérêts propres et c’est là toute la différence entre lui et les autres». Pour notre interlocuteur, les concessions que présente Saad Hariri montrent qu’il n’est pas attaché au pouvoir et que son principal souci reste l’intérêt du pays et la sauvegarde des institutions. Quant à l’idée que Hariri, en cas d’élection de Sleiman Frangié, serait nommé Premier ministre pour six ans, il est évident pour cette source que cheikh Saad reste le candidat permanent au poste de chef du gouvernement, en véritable leader du Courant du futur et du 14 mars. «Quel que soit le Premier ministre, il devra bénéficier du patronage et du support du Futur. Celui qui pense pouvoir parvenir seul à ce poste est très loin de la réalité et ne fait pas une bonne lecture des faits». En conclusion, la source précitée affirme que peu importe l’opinion des uns et des autres, une fois la décision prise tout le monde devra s’incliner et respecter celle-ci. 

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