Magazine Le Mensuel

Nº 3034 du vendredi 1er janvier 2016

Economie & Finances

Sombres perspectives en 2016. L’économie minée par la déflation

Le marché libanais connaît aujourd’hui ce qu’on appelle une déflation. Celle-ci plombe toute croissance économique sous-tendue par une crainte des ménages de glisser vers une propension de leurs dépenses. La déflation est un phénomène qui se caractérise par une baisse générale des prix à la consommation sur une période suffisamment longue de plusieurs trimestres successifs. Elle est la conséquence d’une demande globale qui ne suffit pas à absorber la quantité de biens et services produits par l’économie. Aussi faut-il ne pas confondre la déflation avec la désinflation, qui est la baisse du taux d’inflation. Ce dernier terme désignant le phénomène opposé à la déflation.
 

Inflation zéro
Selon l’Administration centrale des statistiques, les prix à la consommation ont reculé de 3,9% en novembre 2015, reflétant la régression de l’indice des prix à la consommation, qui est passé de 100,5 points, en novembre 2014, à 96,6 points au même mois de 2015. De janvier à novembre 2015, les prix à la consommation ont chuté de 2,71%, en raison des prix de l’énergie et de la faiblesse de la valeur de l’euro face au dollar, d’autant que les importations du Liban en provenance de l’Europe représentent près de 40% de la totalité des importations et que le pays du Cèdre a une économie dollarisée à 70% en moyenne. La monnaie européenne commune (l’euro) a perdu 13% de sa valeur en un an, passant de 1,2098 E/$ en décembre 2014, à 1,0565 E/$ en novembre 2015.
La déflation en novembre est la conséquence principale de la baisse des prix des dérivés pétroliers, le prix du Brent a perdu 50,29% sur une base annuelle, passant de 88,26 dollars/baril en novembre 2014, à 43,87 dollars/baril en novembre 2015. Ce paysage s’est répercuté sur le marché local par une chute de 10,7% des prix du transport, une composante de l’indice des prix à la consommation avec une pondération de 13,1%. A un prix du pétrole plus faible, les prix de l’eau, du gaz et du fuel (pondération de 11,9%) ont régressé de 18,10% en novembre 2015. De même, les frais des soins médicaux (pondération 7,8%) ont décliné de 6,82% sur une base annuelle. Quant au panier des aliments de base et des boissons non alcoolisées (pondération de 20,6%) son prix a enregistré une baisse de 2,12%. En dépit de la faiblesse des prix de l’énergie et des produits alimentaires, certaines composantes de services du panier de la ménagère ont connu une certaine hausse des prix. Les frais de scolarisation (pondération 5,9%) ont marqué une hausse annuelle de 1,52%, alors que les prix des vêtements et des chaussures (pondération de 5,4%) se sont accrus de 3,48%.
Le cercle vicieux de la déflation a généralement le principe suivant: pourquoi acheter aujourd’hui ce qui sera moins cher demain? Une baisse de la demande globale, ou plutôt une baisse de la demande anticipée par les entreprises conduit à une diminution de l’investissement, puis à une baisse de la production. Le cercle vicieux de la déflation pénalise tous les agents endettés de la société (qui ne l’est pas au Liban…) c’est-à-dire tant les entreprises, les particuliers que l’Etat. Ces agents voient la valeur de leur dette rester constante en valeur nominale, mais augmenter en valeur réelle par rapport à leur activité: chiffres d’affaires, PIB, pouvoir d’achat. Le patronat subit les conséquences désastreuses du rétrécissement graduel de ses marges de gain, alors qu’il ne peut baisser ses coûts de production au même rythme que la déflation.
Il est clair que les Libanais, qui appréhendent un avenir incertain vu les retournements de situations politiques régionales et les décisions américaines et européennes impromptues de sanctions économiques portant sur certaines banques opérant au Liban ou sur certains comptes bancaires (on n’a pas encore eu le temps d’oublier la fermeture en 72 heures de la Banque Libano-canadienne), hésitent à consommer, se basant sur le proverbe qui dit: «Laisse ton argent blanc pour tes jours noirs».
Dans une conversation avec Magazine, un père de famille franco-libanais venu au Liban passer les fêtes de fin d’année a confié qu’il a visité de multiples appartements, mais qu’il ne s’est pas décidé à en acquérir un, persuadé que les prix de l’immobilier allaient encore baisser. En différant son investissement, il croit pouvoir préserver son pouvoir d’achat. Une hypothèse qui semble justifiée dans un premier temps mais beaucoup moins sûre à long terme. Le gouverneur de la Banque du Liban (BDL), Riad Salamé, a déclaré sans détour: «La situation économico-financière en 2016 serait identique à celle qui a prévalu en 2015 et aucun changement de données n’est prévisible». Il a parlé d’une croissance économique nulle et d’une inflation zéro en 2015. Il a, en quelque sorte, sonné l’alarme, en soulignant que les dépôts bancaires n’ont enregistré que 5% de croissance, une hausse insuffisante pour subvenir aux besoins en financement des particuliers et du gouvernement. La crise économique en Afrique et les budgets déficitaires en 2015 des pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG) ne sont pas pour faciliter les transferts de fonds des expatriés, qui voient leurs revenus reculer. Ainsi, une situation de récession ou de crise est, en principe, associée à une situation déflationniste prolongée.

Concentration de la richesse  
Ce qui aggrave davantage la situation c’est qu’au Liban, la richesse est concentrée entre les mains d’une minorité, sachant que le moteur de la croissance économique est, évidemment, la consommation de masse. Dans les faits, la répartition des comptes bancaires entre les tranches sociales de la population a montré que 2% seulement représentent plus de 59% des dépôts bancaires, contre 98% représentant moins de 40% des dépôts. Cette structure de la société libanaise n’a guère subi des changements au fil des années, puisque 57 ans auparavant, du temps du mandat du président Fouad Chéhab, la commission Irfed avait conclu que 4% des Libanais, considérés comme des personnes riches ou ayant des revenus élevés, concentrent entre leurs mains 32% du PIB.

Liliane Mokbel

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