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Nº 3035 du vendredi 8 janvier 2016

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Crise des déchets. L’exportation… en prélude à l’incinération

Avant Noël, le Conseil des ministres avait finalement annoncé avoir opté pour l’exportation des déchets comme solution à la crise des ordures qui paralyse le pays depuis juillet dernier. Mais en ce début d’année, un flou total plane toujours sur les modalités de mise en œuvre de cette option. Les questions les plus basiques demeurent jusqu’à présent en suspens, tout comme celle de savoir pourquoi le gouvernement a choisi l’option la plus chère et la plus compliquée à mettre en œuvre? Serait-ce pour paver la voie à l’incinération qui intéresse un certain nombre d’affairistes?

Le 21 décembre dernier, le Conseil des ministres a finalement avalisé la décision d’expédier les déchets hors du pays. «L’exportation des déchets est la seule solution possible aujourd’hui, considère Michel Pharaon, ministre du Tourisme, dans un entretien accordé à Magazine. «La situation n’était tout bonnement plus tenable, il fallait prendre une décision».
Le ministre souligne que le pays aurait dû prendre cette décision dès le mois de juillet lorsque des experts français sont venus au Liban et ont proposé cette solution. «Beyrouth compte des habitants qui viennent de tout le Liban. Le problème est l’absence de terrain. Si l’on regarde les solutions adoptées par les grandes capitales européennes, on s’aperçoit que l’exportation des déchets est ce qu’il y a de mieux».
Michel Pharaon est le premier à avoir avancé cette option qui, au début de la crise, apparaissait comme la moins envisageable, notamment en raison de son coût exorbitant estimé entre 230 et 250 dollars la tonne de déchets par le journaliste Bassam el-Kantar, ancien membre de la commission d’experts de Chéhayeb.
«Même si cette solution est la plus chère, c’est aujourd’hui le seul moyen de sortir le pays de cette crise et la seule solution envisageable», martèle Michel Pharaon.
Mais de nombreuses questions demeurent en suspens, notamment la destination des ordures, le coût exact de l’exportation, les moyens de son financement et, surtout, la conformité de cette solution avec la convention de Bâle sur le transport des déchets.
Malgré ces interrogations, au niveau officiel, la procédure semble bel et bien sur le point d’être enclenchée. Le début des opérations devrait débuter d’ici trois semaines à un mois.
«Il faudrait décréter la situation de catastrophe écologique afin d’amorcer au plus vite le processus d’exportation des déchets et allouer des budgets supplémentaires», précise Pharaon.
Mais pour en arriver là, le ministre insiste sur la nécessité de mettre en place un tri de qualité et de transformer les usines existantes en «centres de tri professionnels». Cette solution peut même s’inscrire dans la durée. «Si elle est temporaire et assez onéreuse au début, c’est uniquement le temps que les choses se mettent en place, considère-t-il. L’exportation des déchets peut tout à fait être envisagée comme une solution de traitement des déchets durables», ajoute Michel Pharaon.
Pour Ziad Abichaker, fondateur de Cedar Environmental, la solution de l’exportation ne s’explique pas. «Les déchets amoncelés depuis le mois de juillet ne peuvent plus être triés, donc comment s’assurer qu’ils ne contiennent pas des matières dangereuses et peuvent ainsi être exportés? demande-t-il. Pour les nouveaux déchets, si l’on parvient à créer des centres de tri professionnels, comme l’explique le ministre, pourquoi les exporter au lieu de les valoriser sur place à moindre coût?».
Pour le professionnel, «cela n’a pas de sens d’opter pour une solution qui coûterait, sur 18 mois, quelque 500 millions de dollars, alors que le coût d’une solution durable du traitement des déchets au niveau local a été estimé à 300 millions de dollars d’infrastructures qui couvriraient l’ensemble du pays».
Même indignation pour Antoine Abou Moussa, consultant en environnement pour l’association Terre Liban. «Outre le coût faramineux de cette option et le fait qu’elle soit en contradiction avec les conventions internationales, l’option de l’exportation des déchets est une catastrophe si l’on se pose la question du traitement des déchets à long terme. Cette solution n’encourage ni le tri, ni la réduction de la production des ordures ménagères».
Pour le spécialiste, cela ne fait pas de doute, «l’exportation n’est qu’un moyen pour les responsables politiques de préparer l’incinération (qui nécessiterait au moins un an de construction) et ainsi de faire accepter à l’opinion publique, fatiguée par six mois de crise, une solution qui rapporterait à ses défenseurs de belles commissions. Il y a six mois, l’opinion publique n’aurait jamais accepté une option si dangereuse pour la santé et l’environnement mais aujourd’hui, après des mois de crise, on sent bien que la population est prête à tout accepter pour être débarrassée des ordures».
La société civile a pourtant proposé une solution locale durable et écologique pour le traitement des ordures: la création de centres de tri et de recyclage à l’échelle du pays pour un coût total de 300 millions de dollars. «Il ne nous manque plus que la cerise sur le gâteau, ironise Antoine Abou Moussa, à savoir l’accord des responsables politiques».
Le principe du centre secondaire est simple: les ordures collectées par les municipalités seraient transportées jusqu’à ces centres de proximités où elles seraient triées sur place, puis compostées pour les déchets organiques qui représentent plus de 60% de la production de déchets. Pour le reste, les ordures recyclables seront préparées à être transportées vers les usines de valorisation c’est-à-dire de recyclage. Avec un bon tri, le taux de résidu pourrait ainsi atteindre les 10%.
La question du Nimby (Not in my backyard) ne se poserait pas puisque chaque caza traiterait ses propres déchets dans son centre de proximité.
Pour la période transitoire de 18 mois, Ziad Abichaker propose alors d’emballer les déchets amoncelés depuis le début de la crise  comme s’ils devaient être exportés. «Au lieu de les exporter, il suffit de les transporter pour les stocker de manière temporaire dans des carrières ou terrains». Il insiste: «Il ne s’agit en aucun cas d’enfouir ces déchets sous terre mais simplement de les entreposer dehors, le temps de construire les infrastructures nécessaires à leur traitement, soit durant la période temporaire de 18 mois». Sous aucun prétexte, cela signifie enfouir les déchets.
Si les avis divergent quant à la solution à trouver pour le traitement des ordures, l’ensemble des acteurs s’accordent à dire qu’il convient de «déclarer l’état d’urgence sanitaire» au plus vite.
Ziad Abichaker et l’ensemble des acteurs de la société civile dénoncent une crise de confiance vis-à-vis du gouvernement et demandent la création d’un comité national pour la gestion des déchets composé de toutes les parties prenantes (ministères, associations, secteur privé, municipalités, secteur industriel, etc.) et une typologie détaillée des déchets au plus vite.

Soraya Hamdan
 

Des politiciens gourmands
Les politiciens ne le cachent pas: la solution privilégiée est bien, à terme, celle de l’incinération. Le Premier ministre, Tammam Salam, et le ministre de l’Agriculture, Akram Chéhayeb, l’ont annoncé clairement lors de la lecture de la décision ministérielle d’exporter les déchets: «La solution privilégiée à l’avenir est la transformation des déchets en énergie, autrement dit la technique de l’incinération». Pour Paul Abi Rached, le président du mouvement écologique libanais, «il n’y a aucun doute, le but de l’incinération pour la classe politique est de se partager chacun une belle part du gâteau». Cette solution avait déjà été avancée dès 2010 avec le projet de créer quatre incinérateurs: dans la région de la Quarantaine, de Jiyé, de Zahrani et de Tripoli. «Elias Bou Saab, Gebran Bassil, Sleiman Frangié et Fadi Abboud ont eux-mêmes prêché, à de nombreuses reprises, l’option de l’incinération comme solution à la crise, souligne Paul Abi Rached, notamment à Dhour Choueir. Or, il s’agit d’une technologie extrêmement coûteuse et surtout très dangereuse. L’exportation des déchets comme l’incinération sont deux méthodes permettant de revenir au monopole de l’Etat et allant à l’encontre de la décentralisation, alors que plusieurs municipalités avaient pourtant commencé à trier et à mettre en place des techniques durables et écologiques de traitement des déchets».

Peut-on exporter nos déchets?
L’une des questions essentielles que pose l’exportation des déchets est celle de la conformité du Liban avec les conventions internationales, notamment celle de Bâle pour le transport des déchets transfrontaliers. Cette dernière impose des conditions très strictes et une procédure assez longue pour l’envoi de détritus d’un pays à un autre.  L’objectif de cette convention est de protéger les pays les plus vulnérables de l’importation de déchets dangereux, voire toxiques, comme ce fut le cas du Liban durant la Guerre civile. Le Liban, qui est alors signataire de cette convention, devrait, pour pouvoir exporter ses déchets, obtenir «une autorisation et remplir un formulaire de notification dans lequel il est tenu d’identifier ses déchets, ce qui implique que les ordures doivent être au préalable triées, ceci paraît difficile en tout cas pour les déchets amoncelés depuis le mois de juillet dernier, soit de plus de cinq mois», explique Olivia Maamari, responsable du programme environnement de l’ONG arcenciel.
Pourtant, les responsables politiques ne semblent pas inquiets. «Tout le monde a peur de la convention de Bâle, mais si le ministre Akram Chéhayeb a proposé cette solution c’est qu’il ne devrait pas y avoir de problème», répond Michel Pharaon interrogé par Magazine.

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