Dans une interview accordée à Magazine, Ahmad Fatfat, député de Denniyé et membre du Courant du futur, soutient que «le Liban, par le biais du ministre des Affaires étrangères, a donné l’impression d’être totalement sous la coupe du Hezbollah». «D’ailleurs, insiste-t-il, cette approche dominatrice semble faire désormais partie de la psychologie collective de ce parti qui souhaite mettre la main sur le pays».
Les services de sécurité auraient mis en garde les politiciens du 14 mars contre une éventuelle reprise des assassinats. Qu’y a-t-il de vrai dans cette information?
De fait, certains services de sécurité nous ont informés que les assassinats politiques peuvent reprendre et nous ont demandé de limiter nos déplacements. Nous ne devons pas perdre de vue les célèbres tweets récents de Jamil el-Sayyed, qui sont carrément menaçants, ainsi que le dernier discours de Hassan Nasrallah et les déclarations de Mohammad Raad qui a «conseillé» à Saad Hariri de ne pas venir au Liban. Tout cela nous ramène à la période qui a précédé l’assassinat de Rafic Hariri, ce qui n’augure rien de bon. D’ailleurs, en cas d’attentats, je fais porter l’entière responsabilité à Hassan Nasrallah.
D’une part, les accusations et les injures s’échangent entre le Futur et le Hezbollah, d’autre part vous vous asseyez ensemble autour d’une même table pour dialoguer. Cette attitude schizophrène bouleverse l’opinion publique libanaise qui ne sait plus à quoi s’en tenir.
La table de dialogue est un pis-aller qui n’aboutira à rien. Le Hezbollah n’est pas un parti de dialogue. Depuis dix ans, il n’a respecté aucune des résolutions prises: ni la question du Tribunal international (Tribunal spécial pour le Liban-TSL, ndlr), ni la délimitation des frontières avec la Syrie, ni le célèbre engagement pris en 2006 qu’il ne traverserait pas la ligne bleue… Pourquoi nous persistons dans ce dialogue? Parce que nous sommes des gens ouverts, nous souhaitons par ailleurs garder une certaine cohésion et que la situation ne tourne pas carrément au conflit.
Dans un autre registre, la Ligue arabe a exprimé, au Caire, sa solidarité totale avec l’Arabie face à l’Iran. Pourtant, aucune mesure pratique n’a été décidée. Que pensez-vous de ces prises de position?
Pour la première fois depuis l’époque nassérienne, il y a unanimité de la volonté arabe, mais aussi un appui international. Seul le Liban s’est démarqué, ce que je considère comme une attitude irresponsable. Si, un jour, le pays aurait besoin à son tour d’une position unanime arabe, nous risquons d’avoir une réponse de même nature. Le Liban, par le biais du ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil, a donné l’impression d’être totalement sous la coupe du Hezbollah. D’ailleurs, cette approche dominatrice semble faire désormais partie de la psychologie collective de ce parti qui souhaite, et de plus en plus clairement, mettre la main sur le pays.
Sur quoi vous basez-vous pour lancer de telles accusations?
Le Hezbollah ne se cache plus. Il sent qu’il détient un excès de pouvoir et souhaite transformer cela en acquis politique. Il pèse de tout son poids pour que le Parlement adopte une loi électorale qui lui soit favorable. Il demande clairement une redistribution du pouvoir. Il veut renvoyer les accords de Taëf aux oubliettes perdant de vue que ces accords ont coûté au Liban 200 000 morts et des destructions aveugles.
Il semble que votre allié Samir Geagea, chef des Forces libanaises, envisage de soutenir la candidature de Michel Aoun à la présidence. Votre commentaire?
A mon avis, cette information qui circule dans les médias ne doit pas être prise au sérieux. J’ai personnellement rencontré Geagea et je n’ai pas eu l’impression qu’il s’oriente dans cette voie. Ne perdons pas de vue qu’autant notre allié nous est indispensable, la réciproque est vraie. Samir Geagea sait que le jour où Aoun sera élu, c’est le Hezbollah qui détiendra le pouvoir.
N’avez-vous pas poussé Geagea dans cette voie en adoptant la candidature de Sleiman Frangié…
L’initiative de Saad Hariri vise à rassembler toutes les forces politiques autour d’un compromis pour éviter la paralysie des institutions.
Pourquoi ne s’exprime-t-il pas franchement sur cette affaire d’autant plus que son silence indispose ses alliés aussi bien que l’opinion publique qui le soutient?
Si ses tentatives aboutissent, il se prononcera. Actuellement, les choses n’ont pas encore mûri.
Propos recueillis par Danièle Gergès