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Nº 3040 du vendredi 12 février 2016

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Soliloques d’un jacquemart autrement dit Le librettiste des brumes d’Alain Tasso. «Le grand public doit revenir vers l’auteur»

Alain Tasso vient de publier, aux éditions Les blés d’or, un recueil de poèmes intitulé Soliloques d’un jacquemart autrement dit Le librettiste des brumes, avec des encres, des dessins, des manuscrits et des photographies. Entretien.
 

Cela fait quelques années que vous n’aviez pas publié un nouveau recueil.
Avec la maturité, il faut prendre son temps et réfléchir. Aujourd’hui, dans mes recherches, je découvre que l’homme va de plus en plus mal, alors qu’il a tout pour être heureux. Le poète voit cela, et il réagit. S’il y a du tragique, cela ne veut pas dire qu’il va mal car, je le répète chaque fois à mes étudiants, l’écriture, la peinture, l’art… ne sont jamais une libération d’émotions. La plupart des écrivains qui rédigent des livres, ils y évoquent leur joie, leur peine, et cela leur fait du bien, mais il y a des hôpitaux psychiatriques et des médicaments pour cela; le spectateur ou le lecteur n’est pas obligé d’aider à la thérapie de l’auteur. Cela peut commencer par une situation que nous avons vécue, mais aller plus loin dans des prémices de connaissance ou dans une révélation quelconque vers le nouveau. Sinon, qu’est-ce que ça rapporte à la situation littéraire? Le littéraire consiste à apporter du nouveau. L’académicien Jean Dutourd m’avait dit, lors d’une entrevue, qu’aujourd’hui la plupart des écrivains utilisent quelque 500 mots pour faire du commerce, alors qu’il y a 100 000 mots dans la langue française. Et ce sont toujours les mêmes mots qu’on utilise. Alors si on va au-delà, c’est tout de suite les grands cris, comme c’est difficile… Mais on est là pour enrichir la langue, pour utiliser les mots techniques de la langue.

Soliloques d’un jacquemart autrement dit Le librettiste des brumes. Pourquoi ce titre?
Il n’y a pas mieux que Soliloques; parler tout seul et il n’y personne pour vous répondre. Le jacquemart n’est pas seulement un automate normal, il a un seul rôle qui consiste à tenir le marteau et à taper à l’heure dite. Il donne et maîtrise l’heure, il surplombe la ville, la lit, il sait ce qui se passe. En même temps, il est librettiste dans les brumes, celui qui écrit des livrets d’opéras, mais dans les brumes, donc à nouveau il soliloque, il a de l’espoir, il chante… Les titres sont très importants pour moi, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle je ne mets pas de titre à l’intérieur, pour laisser libre cours à l’interprétation. Je ne donne pas toutes les clés; la situation à la fin du poème place le lecteur au seuil de la maison et il y rentre tout seul. Souvent, celui-ci affirme tout de suite ne pas comprendre, mais s’il fouine un peu, il comprendra. Je ne suis pas là pour faire plaisir au grand public. Aujourd’hui, c’est le grand public qui doit revenir vers l’auteur et non le contraire, c’est respecter le grand public que de le faire réfléchir.

Quel est donc le rôle du poète?
Mon rôle en tant que poète est de vous faire réfléchir, de respecter votre état psychique et émotionnel, de le titiller, de le provoquer, de le déranger de ses habitudes quotidiennes pour le mener vers de nouvelles réflexions, pour lui ouvrir de petits sentiers de réflexion.
Mais l’être humain n’a plus envie de réfléchir, alors qu’il a tout le temps pour le faire. Avec le monde de la technologie, les gens n’ont même plus le temps de vous dire bonjour, parce qu’ils ne peuvent pas maîtriser celle-ci, qui est aussi bien intéressante que mauvaise, car elle a détruit l’être humain. La technologie a détruit les particularités culturelles des pays et de l’humain vu que, dans la mondialisation, nous sommes tous écrasés par ce qu’on nous a sommés, obligés de faire. La mondialisation a voulu que nous soyons tous pareils. Nous pressons tous quelques dix boutons par jour, non pas pour vivre, mais pour survivre. On peut maîtriser cela, mais la plupart des gens ne le font pas, ils baignent dans cette terreur. L’être humain, aujourd’hui, est un être terrorisé et qui terrorise, car il n’est plus humain. Il est complètement écrasé, engoncé dans l’ego de son ego. Pour lui, c’est la marque qui le fait. Il faut mille ans pour transformer l’inhumain en un semblant d’humain, il n’y a plus de solutions.
 

Propos recueillis par Nayla Rached
 

Bio en bref
Poète, essayiste, peintre, Alain Tasso est également professeur d’esthétique, d’histoire de l’art et de diégèse à l’université, après avoir été antiquaire et journaliste. En 1995, il fonde le prix Jeunes cèdres pour encourager les jeunes poètes et, en 2001, les cahiers littéraires et artistiques Péristyles. Parmi ses œuvres, De neige et de pierres-poèmes pour l’improbable, Paysages de flot, Encore ce peu d’images malgré tout, Brisants comme dictame d’un monde trépassé, ainsi qu’une anthologie aux éditions de La revue phénicienne, précédée de dix textes critiques.

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