Magazine Le Mensuel

Nº 3040 du vendredi 12 février 2016

Editorial

Un fauteuil pour deux!

La présidentielle connaît un nouveau flop. Pour la 35e fois, les parlementaires échouent à élire un chef d’Etat et, pour la 35e fois, les plus ingénus et les plus crédules d’entre nous y avaient cru. Ou avaient voulu y croire. Il était pourtant évident que deux candidats d’un même clan, soutenus par deux ténors d’un clan rival, ne pouvaient pas s’affronter avec succès et que leurs candidatures n’avaient pas beaucoup de chances d’obtenir un résultat, sinon celui de prouver une bonne volonté, sans grand espoir, de combler le vide au palais de Baabda.
Encore une fois, les meneurs du jeu, bien que rodés à la manœuvre politicienne, n’ont fait que servir ceux qu’un Etat démocratique dépasse et dérange. Les premiers ne pouvaient pourtant pas ignorer ce que les citoyens lambda ont, eux, compris depuis belle lurette: l’heure n’a pas sonné pour une population avide de retrouver un Etat répondant aux règles de la Constitution lui permettant de mener une vie normale sous l’ombrelle d’un Etat libre. Ce qui n’était plus le cas depuis l’évacuation miraculeuse des troupes syriennes, ce 26 avril de 2005, à laquelle les Libanais avaient assisté comme dans un rêve. Hélas, très vite, d’autres forces ont eu raison d’un pays aux institutions ébranlées par des crises internes insolubles. Une fois réveillés de la magie du mouvement du 14 mars, qui promettait tant, les citoyens toujours dupes des manigances politiciennes, sont retombés dans la triste réalité et compris que ceux qui tirent les véritables ficelles de nos destinées ne sont pas près d’accepter de les céder à un autre pouvoir que le leur. Le seul moyen pour eux d’y arriver est de torpiller les institutions d’un Etat qui peine à protéger ses ouailles et ne compte plus sur lui-même pour défendre ses intérêts.
Le vide institutionnel a fait fuir des forces vives du pays en pleine jeunesse. Il n’y a plus une seule famille qui ne soit privée des siens partis, non plus à la recherche de l’or, mais en quête d’un minimum vital digne.
Le Liban ne manque pas de gens honnêtes, d’hommes et de femmes capables de retrousser les manches pour reconstruire une nation et la consolider. Encore faut-il qu’ils ne soient pas étouffés par les intérêts et l’avidité d’individus qui, malheureusement, restent les plus forts.
Il fut un temps, hélas révolu, où le Liban était la «Suisse du Moyen-Orient», mais le pays du Cèdre n’est plus aujourd’hui qu’un Etat en faillite. Depuis plusieurs décennies, les caisses du Trésor sont vides et les dirigeants ne se risquent plus à présenter des budgets qui ne pouvaient être que déficitaires et ce qu’aucun économiste, aussi compétent soit-il, ne pourrait justifier sinon par le désordre et la corruption.
Les sommes promises par l’Union européenne, à titre d’aides à l’Etat pour subvenir aux besoins des réfugiés syriens dont le nombre gonfle à vue d’œil et coûtent, selon des économistes chevronnés, quelque cinq milliards de dollars, rétrécissent au fil des mois comme une peau de chagrin. N’est-ce pas par manque de confiance dans la gestion d’une république privée de président, dotée d’un Parlement dont l’incompétence et l’incapacité sont devenues légendaires, d’un gouvernement que les dissensions internes empêchent de gouverner, d’une justice à la mission impossible et d’une classe sociale et ouvrière qui passe plus de temps dans les rues à réclamer ses droits que derrière des machines ou des bureaux? Les manifestations et le blocage des rues sont devenus coutumiers mais, hélas, sans résultat. En réalité, ils ne dérangent que les citoyens, les dirigeants, eux, ont toutes les possibilités de contourner les difficultés ou de les éviter.
Pour ses dépenses de première nécessité, l’Etat n’a plus d’autre recours que celui de plonger dans les poches de citoyens qui peinent à boucler leurs fins de mois. Depuis des décennies, ils sont sans cesse appelés à desserrer les cordons de leurs bourses pour combler celles de l’Etat. Ce miracle libanais dont nous nous sommes tant vantés peut-il encore jouer?

Mouna Béchara

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