Avec Bryan Cranston en tête d’affiche et Jay Roach derrière la caméra, Trumbo plonge les spectateurs dans une période peu reluisante de l’Histoire américaine, le maccarthysme, qui s’ancre au cœur de Hollywood.
A Hollywood, il n’y a pas que le pétillant et le clinquant, les dénouements heureux et les claquettes, ou même les coulisses fourmillantes, les roulottes des stars, les plateaux de tournage et les studios enfumés des discussions entre scénaristes, réalisateurs et producteurs dans l’intérêt du film. C’est ce qu’on s’imagine et qu’on se plaît à fantasmer de l’âge d’or de Hollywood. Il n’y a pas non plus que l’envers du décor. Il y a aussi dans l’histoire du 7e art américain une période houleuse et honteuse, qu’on occulte ou qu’on n’exploite pas vraiment: la période du maccarthysme, la «peur rouge», la chasse aux sorcières, les communistes pointés du doigt, la paranoïa généralisée, la liste noire, les Dix d’Hollywood.
Trumbo en faisait partie. Dalton Trumbo, scénariste à succès au sommet de sa gloire, est accusé, en 1947, alors que la Guerre froide bat son plein, d’être communiste. Le spectateur assiste, impuissant, à l’inéluctable trajectoire de Trumbo; de sa sommation devant la commission House Un-American Activities à son refus de répondre aux questions sur son appartenance communiste, en invoquant le premier amendement de la Constitution américaine; de son inculpation pour outrage à sa condamnation à une peine de prison de onze mois; de son recouvrement de la liberté à sa lutte acharnée pour pouvoir encore travailler, sous pseudonymes, puisque son nom figurait sur la liste noire, une liste d’artistes, communistes ou non, à qui les studios refusaient tout emploi.
On n’invente pas l’Histoire, on la met en scène. Sauf que le réalisateur Jay Roach a opté pour un biopic conventionnel, qui déroule les pans chronologiques d’une vie, ses moments clés, ses drames et ses prises de position, sans louvoiements ou rebondissements scénaristiques, visuels ou techniques. Pas de risques. Tous les éléments sont là, corrects, adéquats, mais il manque l’audace peut-être, ce plongeon dans le vide qui aurait pu aboutir soit à une œuvre s’aventurant loin des sentiers balisés du biopic, soit un flop. Par les précautions qu’il prend, Trumbo échappe à ces deux extrêmes et se positionne dans une situation neutre, détournant le spectateur de l’émerveillement inhérent au 7e art, cette capacité de nous transporter de l’émotion à l’interprétation.
On aurait pu s’attendre à un film aussi passionnant, aussi palpitant que l’histoire qu’il raconte. Parce que la plus grande force du film réside précisément là, au cœur de l’histoire de Trumbo qui méritait tellement d’être transposée à l’écran, suscitant d’emblée l’intérêt du spectateur, renforcé par un poignant sentiment d’injustice, voire d’absurdité, à la découverte des difficultés qu’il a eu à affronter. Pas seulement lui, sa famille surtout: sa femme Cleo, ses deux filles et son fils. Ils n’ont cessé de le soutenir, quitte à mettre leurs propres vies en suspens. Ses amis et collègues également, ses compères sur la liste noire, particulièrement Arlen Hird.
Inégal, le film atteint son point culminant au moment où, sorti de prison, débute une lutte acharnée pour poursuivre son travail malgré sa mise à l’écart. Sous des noms d’emprunt, il se lance dans l’écriture frénétique de films de série B, au profit du producteur Frank King, pour qui le cinéma ne compte que par le divertissement qu’il procure et non le contenu. Peu importe d’avoir des histoires hallucinantes sans queue ni tête, la machine hollywoodienne roule et l’argent tombe. Cette période fébrile la mieux illustrée tient le spectateur en haleine et aurait gagné à s’étendre tout au long du film, de manière à maintenir la subtilité des piques et répliques qui jaillissent souvent au détour des discussions entre les personnages.
Cigarettes, whisky et dactylo
A défaut d’originalité du genre, un soin méticuleux est apporté à l’image. Belle reconstitution d’époque, l’ambiance est pétrie de volutes enfumées des cigarettes constamment grillées par Trumbo, des verres de whisky qui s’enchaînent sur sa table de travail, du dactylo dont les touches ne cessent de crépiter. Et quand cette position assise le démange, le voilà dans sa baignoire se prêtant à un collage des multiples scènes qu’il ne cesse d’écrire.
Trumbo tient essentiellement par le jeu de ses acteurs, le protagoniste, évidemment, et les rôles secondaires. Dans la peau de Trumbo, un magistral Bryan Cranston qui, depuis la série Breaking Bad, ne cesse de s’attirer la reconnaissance de la critique. Ce rôle qui lui a valu une nomination aux Oscars, la seule nomination pour le film, en attendant les résultats le 28 février, et une autre aux Golden Globes dans la catégorie du Meilleur acteur dans un film dramatique, prix remporté, rappelons-le, par Leonardo DiCaprio. Le reste du casting comprend la pétillante Helen Mirren dans le rôle de l’horrible Hedda Hopper, militante acharnée de la commission House Un-American Activities, John Goodman, lui, se distingue dans la peau du producteur Frank King, la femme de Trumbo, Cleo, est interprétée en toute délicatesse et force par Diane Lane et Louis C.K. se glisse sous la colère à peine retenue d’Arlen Hird.
Il est aisé de fermer les yeux sur les défauts du film, parce que Trumbo emporte les spectateurs dans un récit véridique passionnant, suscitant une envie d’en savoir davantage sur cette «chasse aux sorcières», qui, dans un autre cadre et dans une autre forme, reste une pratique courante, voire de plus en plus fréquente, dans notre monde. Reste à savoir de quels crimes affublera-t-on les sorcières avant de les envoyer au bûcher.
Nayla Rached
Sortie prévue la semaine prochaine.
En salles cette semaine
Hail, Caesar! Comédie dramatique d’Ethan et Joel Coen.
Deadpool Science-fiction de Tim Miller.
The idol Biopic de Hany Abu-Assad.
45 years Drame d’Andrew Haigh.
Risen Action de Kevin Reynolds.
Snowtime Animation de Jean-François Pouliot et François Brisson.