Magazine Le Mensuel

Nº 3042 du vendredi 26 février 2016

Société

Dans les conflits armés. Ethique et action humanitaire

Dans tous les conflits armés, des populations entières se trouvent victimes des affrontements, sans défense, à la merci des acteurs armés. La règle du secours aux victimes des conflits armés, définie par les Conventions de Genève, est simple et fondamentale: l’aide doit provenir d’une organisation neutre et indépendante, et être apportée de manière impartiale.

Conseiller médical principal du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), Paul Bouvier a expliqué, au cours d’une rencontre organisée par le Département de philosophie de l’Université Saint-Joseph, les origines et la visée de l’action humanitaire dans les conflits armés.
Au départ de l’action humanitaire, il y a un engagement éthique fort pour secourir, assister et protéger les personnes victimes de catastrophes et de conflits. L’éthique humanitaire se définit ainsi autour de valeurs fortes que sont les quatre principes d’humanité, de neutralité, d’impartialité et d’indépendance, tous nés en pratique sur le champ de bataille de Solferino, en 1859, opposant alors l’armée française de Napoléon III à l’armée autrichienne de l’empereur François-Joseph en Italie. Les conséquences de cette bataille sont lourdes (avec 40 000 blessés laissés sans secours sur le champ de bataille), les services sanitaires sont insuffisants et la qualité du service médical est désastreuse. Témoin de cette vision d’horreur, Henri Dunant décide d’offrir son aide aux infirmières, s’investissant, dans ce sens, personnellement et financièrement. De retour à Genève, Dunant écrit un livre, Un souvenir de Solferino, où il décrit l’agonie des soldats blessés sur le champ de bataille, ainsi que son propre vécu, faisant appel à la solidarité humaine, cette même solidarité qui s’exprimait dans le cri par lequel les femmes de Lombardie justifiaient les secours qu’elles apportaient, de manière impartiale, aux blessés italiens, français et autrichiens dans l’église de Castiglione delle Stiviere en juin. Dunant a réussi, de ce fait, à consolider l’engagement de l’opinion publique et de nombreuses personnalités, militaires, diplomates ou médecins, autour d’un projet moral d’intérêt commun à double face: il s’agissait, d’une part, de créer des organisations bénévoles, auxiliaires des pouvoirs publics, pour évacuer et soigner les blessés sur les champs de bataille et, d’autre part, assurer, par un traité international, la reconnaissance des secouristes et des infrastructures sanitaires agissant de manière neutre sur les futurs champs de bataille.


Nourris des travaux du philosophe Paul Ricœur, dont la pensée a permis de passer à une mise en œuvre de l’éthique dans le cadre de diverses situations rencontrées, les propos de Bouvier consistent à souligner l’idée selon laquelle, dans la pratique, l’intention de faire du bien se heurte aux enjeux du pouvoir et aux risques de la violence: mépris des personnes ou instrumentalisation, discrimination ou manipulation, complicité passive ou active avec des violences, les risques de dérive éthique sont pratiquement constants. Dès ses débuts, l’action humanitaire s’est dotée de règles de droit internationales, de principes d’action et de codes de conduite, qui encadrent toute son activité. La complexité des situations rencontrées sur le terrain, les diverses logiques en présence et la multiplicité des cultures placent les acteurs humanitaires face à des dilemmes et, parfois, face à des choix éthiques très difficiles. C’est pourquoi le CICR s’engage à porter secours sans discrimination aux blessés et s’efforce de prévenir et d’alléger en toutes circonstances leurs souffrances. Même si souvent confrontés à des difficultés comme le manque de ressources en situation d’urgence ou le problème du triage dans les hôpitaux lors d’un tremblement de terre, il est impératif d’être attentif au blessé, quand bien même il arrive qu’on se trouve dans l’obligation de ne pouvoir le sauver, puisque ce qui, fondamentalement, fait l’universalité de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, c’est l’universalité de la souffrance.
 

Natasha Metni
 

Entre Ricœur et Levinas
Paul Bouvier a mis, lors de la conférence, l’accent sur les points de vue différents de chacun des deux philosophes Paul Ricœur et Emmanuel Levinas en matière d’éthique. Si pour Ricœur, un sujet doit répondre de lui-même, pour Levinas, il s’agit plutôt de répondre à. Et de répondre à ce qui ne se donne même pas à entendre, à ce qui est au-delà de toute parole – l’infinie responsabilité qui me lie à autrui. Car pour Levinas, la responsabilité nous engage envers autrui bien au-delà de ce que l’on peut décider, choisir: «L’éthique serait cette dette que je n’ai jamais contractée», «c’est malgré moi qu’Autrui me concerne». L’altérité s’éprouverait alors dans un vertige, le vertige de l’immense responsabilité que j’ai vis-à-vis de l’autre. «Autrui est un centre d’obligations pour moi», disait-il.

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