Magazine Le Mensuel

Nº 3042 du vendredi 26 février 2016

Editorial

Des trous dans le parapluie

Les formules linguistiques passe-partout dans lesquelles la classe politique libanaise excelle depuis toujours ne semblent plus avoir l’effet escompté. Le communiqué publié par le gouvernement à l’issue de plusieurs heures de délibérations pour tenter de calmer la colère de l’Arabie saoudite a été jugé insuffisant par l’ambassadeur du royaume à Beyrouth, Ali Awad el-Assiri. Riyad, et dans son sillage ses alliés du Golfe, à l’exception du sultanat d’Oman, poursuivent leurs pressions sur le Liban. Ils exigent davantage. Mais savent-ils que ce «petit plus» peut briser le fragile équilibre qui permet encore aux protagonistes libanais de s’asseoir autour de la même table au Conseil des ministres et au sein du dialogue dans ses formats bilatéral et multilatéral?
Deux indices inquiétants montrent que le Liban est peut-être entré dans une nouvelle phase, marquée par une forte montée des tensions internes. Le premier est l’incertitude qui entoure le sort du dialogue entre le Hezbollah et le Courant du futur. La séance prévue mercredi soir a failli ne pas avoir lieu sans l’intervention énergique du président du Parlement Nabih Berry. Le Courant du futur avait demandé le report de la réunion à une date ultérieure mais M. Berry, qui se trouvait en Belgique, a effectué d’intenses contacts avec le Premier ministre Tammam Salam et l’ancien chef du gouvernement Saad Hariri. Ce dernier a proposé d’ajourner le dialogue et la tenue d’une rencontre avec M. Berry pour examiner la dernière crise liée aux relations avec l’Arabie saoudite. Le chef du Législatif a cependant insisté pour que la séance de mercredi soit maintenue afin de ne pas envoyer des signaux négatifs aux Libanais. Une rencontre a finalement eu lieu sans toutefois regrouper tous les membres des deux délégations. Le Hezbollah a été représenté par le conseiller de Hassan Nasrallah, Hussein Khalil, et le Courant du futur par Nader Hariri, avec comme modérateur l’adjoint de M. Berry, le ministre Ali Hassan Khalil. MM. Nouhad Machnouk et Samir el-Jisr pour le Moustaqbal, et MM. Hussein Hajj Hassan et Hassan Fadlallah pour le Hezbollah, n’ont pas participé aux débats. La réunion a duré une heure au cours de laquelle les protagonistes se sont envoyé à la figure leurs griefs respectifs. Le sort de ce dialogue bilatéral sera fixé lors d’une réunion qui doit avoir lieu en fin de semaine entre MM. Berry et Hariri. Mais le Hezbollah a déjà fait savoir que si ce format est interrompu à l’initiative du Courant du futur, il pourrait se retirer du dialogue national multilatéral.
Deuxième indice inquiétant, les propos de M. Salam sur Sky News Arabia, mercredi. Le Premier ministre n’a pas exclu la démission de son cabinet, qui se contentera d’expédier les affaires courantes, «ce qu’il fait déjà, comme l’affirment certains».
Nous assistons à l’effondrement des derniers canaux à travers lesquels les protagonistes libanais continuaient de se parler malgré le fossé qui sépare leurs positions respectives.
Que feront-ils s’ils cessent de discuter entre eux? Commenceront-ils à se taper dessus?
Ces cinq dernières années, on a souvent vanté le «nouveau miracle libanais», illustré par une relative stabilité dans un Moyen-Orient en ébullition. Cette stabilité était assurée par trois niveaux: local, régional et international. La partie régionale multiplie les signaux sur sa volonté de retirer son parapluie protecteur déployé au-dessus du Liban. Elle sera sans doute suivie par ses alliés locaux. Pour l’instant, le niveau international, représenté par les cinq membres permanents du Conseil de sécurité et le Vatican, n’a pas manifesté ses intentions. Si les acteurs internationaux restent passifs devant l’effritement du parapluie protecteur, en raison du désistement de l’une de ses composantes, c’est que la décision de transformer le Liban en champ de bataille aura été prise.
A ce moment-là, chacun saura ce qu’il aura à faire!

Paul Khalifeh

 

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