Magazine Le Mensuel

Nº 3042 du vendredi 26 février 2016

HORIZONS

Otello vs Otello. Rossini et Verdi, puissance et intensité

Il est rare d’avoir l’occasion d’assister à deux opéras en une même soirée. Le festival al-Bustan a donné cette chance au public libanais en programmant, durant deux nuits consécutives, les 21 et 23 février, la soirée Otello vs Otello, l’opéra de Rossini vs celui de Verdi.

Sur scène, l’orchestre du Festival al-Bustan sous la fougueuse direction de Gianluca Marcianó, donnant corps, tour à tour, à l’Othello de Shakespeare en deux versions opératiques différentes. Il ne s’agit pas là de proposer une quelconque critique de ce qui a été donné à entendre et à percevoir, parce qu’avant tout, c’est l’unicité du moment qui est à signaler. Cet instant musical qui enveloppe le spectateur quand il découvre, d’un coup, via tous les bouleversements que subit son corps, à son insu, à quel point une même source dramaturgique, une même influence peut susciter des inspirations diverses.
Comme première porte d’appréciation évidemment, une approche comparative entre l’Otello de Rossini et celui de Verdi. Deux univers complètement différents qui éclatent et culminent, plongeant l’auditoire, en l’intervalle des trois heures environ qu’a duré le concert, dans deux états d’âme différents, voire presque opposés. Pour le premier, une plongée en puissance et en éthéré, pour le deuxième, l’effleurement d’une passion dans son intensité dramatique.

 

L’ampleur du drame shakespearien
Contemporain du Barbier de Séville et de La Cenerentola, Otello est le 19e opéra de Gioacchino Rossini, composé alors qu’il avait 24 ans, au cours de l’une des périodes les plus fécondes de son parcours. Présenté pour la première fois en 1816, son Otello se distingue notamment par sa forme originale: trois actes seulement et une fin tragique, signé avec la collaboration du librettiste Francesco Berio di Salsa. Autre particularité rossinienne, Otello réunit trois ténors au-devant de la scène. A l’auditorium Emile Bustani, Ji Min Park incarne l’angoisse d’Otello, Sergey Romanovsky la fougue de Rodrigo et Bechara Moufarej la fourberie d’Iago, le talent libanais se situant légèrement en retrait par rapport aux deux autres ténors, notamment face à la puissance de Romanovsky, l’orchestration musicale couvrant souvent sa voix qui semble pourtant retenir tout son potentiel. L’opéra de Rossini accorde la part belle à Desdémone dont l’ardeur et les transports passionnels sont merveilleusement servis par la voix soprano de Hye-Youn Lee, renforcée par la présence de sa confidente Emilia, interprétée par Sophie Goldrick (mezzo-soprano). C’est surtout la puissance des voix et de l’opéra qui se dégage des extraits proposés, même s’il a été difficile à l’audience de suivre le déroulement de l’action, en l’absence du texte du livret en surtitres.
Ayant longtemps occupé les scènes du monde, alors qu’il n’était pas encore courant de choisir une pièce du dramaturge britannique pour livret d’opéra, l’Otello de Rossini a été éclipsé, à la fin du XIXe siècle, par celui de Verdi. Présenté pour la première fois en 1987 sur un livret d’Arrigo Boito, l’Otello de Verdi est considéré comme l’un des plus célèbres opéras italiens. Une union miraculeuse entre musique et drame dont l’intensité se fait immédiatement sentir, dès les premières notes qui font tressaillir l’audience et les voix qui embrasent les sens et retiennent le souffle. Accordant une grande place à la dimension passionnelle du drame shakespearien, c’est un Otello torturé par les affres de la jalousie et habité par une colère viscérale qui s’incarne à travers le ténor Kristian Benedikt et qui éclate face à son sournois et vil conseiller, le majestueux baryton Nikoloz Lagvilava, un impétueux Iago, au charisme envoûtant. Face à ces voix masculines, la soprano Valeria Sepe, tout en nuances et en drame, chantant le célèbre air d’Ave Maria dans la peau de Desdémone. Une salle conquise par l’intensité du moment.

Leila Rihani

Prochains rendez-vous
Lundi 29 février Do you Noh Shakespeare? – King Lear Dreaming.
Mardi 1er mars Cello and Violin romance, avec Alexandra Soumm au violon et Victor
Julien-Laferrière au violoncelle.
Mercredi 2 mars Shakespeare songs trio, avec le trio de jazz franco-britannique, Christophe Marguet (batterie), Guillaume de Chassy (piano) et Andy Sheppard (saxophone).
Au Crystal Garden.
Jeudi 3 mars Concert-surprise avec le percussionniste libanais Rony Barrack et d’autres invités solistes.
Vendredi 4 mars Il Giardino delle Delizie, avec Artemandoline. Au musée Sursock.

Tous les concerts débutent à 20h30 précises et ont lieu à l’auditorium Emile Bustani, sauf mention contraire.

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