«On ne peut pas laisser la solution entre les mains de ceux qui ont créé le problème». Samedi 12 mars, le centre-ville de Beyrouth avait curieusement des allures d’août 2015. «Non à la corruption! Le gouvernement à la poubelle», pouvait-on lire sur les pancartes des manifestants venus hurler leur colère contre la mauvaise gestion du dossier des ordures par le gouvernement.
Des milliers de Libanais ont répondu à l’appel du collectif Vous puez pour lancer un dernier avertissement au gouvernement.
Ziad Abi Chaker, le président de Cedar Environmental, fait partie du cortège et répète inlassablement: «Le peuple ne veut pas de la solution mijotée en Conseil des ministres. Cela ne calmera pas la rue car elle veut une vraie solution, durable, au problème des ordures. Une solution qui existe, mais que le gouvernement s’obstine à ne pas vouloir envisager».
Quand Ziad Abi Chaker parle de la solution mijotée en Conseil des ministres, il évoque l’adoption du gouvernement d’un plan global visant à résoudre la crise des ordures par la réouverture des décharges. Celle de Naamé devrait être rouverte pour une période de deux mois, tandis que celles de Bourj Hammoud et Costa Brava devraient être réaménagées pour accueillir les ordures du Metn, du Kesrouan et de la banlieue sud.
Epuisés par huit mois de crise, les Libanais seraient-ils prêts à accepter n’importe quelle solution de la part des dirigeants pour pouvoir à nouveau respirer? Pour Mahmoud, 42 ans, technicien cinématographique «il est hors de question d’accepter la solution des décharges et de l’incinération. Je ne rentrerai pas chez moi si le gouvernement décide purement et simplement de rouvrir les décharges. Depuis huit mois, les politiciens n’ont même pas fait semblant de vouloir résoudre la crise, comment pourrais-je croire que quelque chose a changé aujourd’hui? Comment pourrais-je croire que le désastre de Naamé ne se reproduira plus avec les autres décharges?».
Pour Ajwad Ayache, membre de la coalition pour la fermeture de Naamé, «rouvrir la décharge n’est pas envisageable. Nous ne l’accepterons pas. Si les politiciens décident de rentrer à nouveau à Naamé, ils y resteront, dit-il. Il existe d’autres moyens de régler la crise, des moyens durables et écologiques, qu’ils acceptent enfin de les entendre».
C’est l’avis partagé par Corinne, 43 ans, mère de famille. «J’ai deux enfants et j’ai participé à toutes les manifestations. La réouverture des décharges n’est pas, pour moi, une solution mais, simplement, un retour huit mois en arrière. Comment obliger les populations à accepter nos ordures? Nous réclamons une vraie solution. Je fais le tri depuis sept mois et je suis persuadée que c’est la seule solution durable à la crise».
Noura, 30 ans, artiste-peintre, est de son côté plus désabusée, elle ne supporte tout simplement plus de vivre sous les ordures. «Je n’en peux plus, ça suffit, insiste-t-elle. Nous savons tous qu’ils sont corrompus et je suis même prête à l’accepter pourvu qu’ils nous débarrassent des ordures. Je suis prête à payer le prix fort, mais débarrassez nous juste des ordures, prenez vos juteuses commissions, mais laissez nous simplement respirer», martèle-t-elle.
Huit mois après le début de la crise des déchets, il semble bien que le gouvernement ait réussi son pari: miser sur l’usure pour faire accepter la solution qui lui convient, celle de la réouverture des décharges le temps que le lucratif projet de l’incinération puisse se généraliser à l’ensemble des grandes agglomérations libanaises, sonnant le glas de la décentralisation et le maintien de la mainmise étatique sur le juteux business des ordures.
Soraya Hamdan