Le mercredi 16 mars, au théâtre al-Madina, un double événement: le lancement du recueil posthume de textes inédits d’Ounsi el-Hage, publié aux éditions Naufal/Hachette Antoine, et une lecture poétique en mots et en musique.
Une soirée placée sous le signe de l’émotion, celle des mots et de la poésie, celle de la vie et de la mort. L’émotion de la rencontre avec Beyrouth, avec Ounsi el-Hage, au-delà de sa disparition, de son absence physique, au-delà de sa mort, il y a deux ans. L’émotion effeuillée au creux de ses mots inédits assemblés dans un recueil posthume Kana haza sahwan, par les soins de sa fille et de son fils, Nada et Louis el-Hage. Sa fille qui, seule sur la scène, dans sa sobriété et son élégance, dans la retenue de ses mots teintés de larmes non versées, affirme que cette expérience lui a permis de transformer l’absence d’un père en une présence, de transformer la mort en vie. Une expérience qui lui a révélé que la présence spirituelle et intellectuelle est plus importante que la présence physique.
Ce soir-là, en effet, au théâtre al-Madina, tout composait avec l’esprit d’Ounsi el-Hage, une soirée qui lui ressemble comme dit sa fille. Il ne s’agit pas simplement d’un hommage ou de la publication d’un recueil de textes inédits, mais de permettre à la poésie, celle d’Ounsi el-Hage, de révéler tous ses possibles, contenus, retenus, en une explosion de sensations. Entre des images et des vidéos d’archives projetées sur grand écran, entre cette arcade de lumières suspendues dans un souffle, retentissent les mots d’Ounsi el-Hage, portés par la lecture et l’interprétation de sa fille Nada el-Hage et sa petite-fille, l’actrice Yara Bou Nassar, accompagnées par le piano et la voix de Hiba el-Kawass qui a composé une musique spéciale pour le livre, ainsi que deux chansons tirées des textes du recueil.
«Tout ce temps perdu…»
Devant une salle comble, dans une ambiance de sérénité et d’expectative, d’attente et de souffle retenu, planent à la fois l’ombre et la lumière; cette antinomie qui ne peut être résolue que dans la poésie. Lisant tour à tour des extraits du recueil, dans une attitude plus recueillie pour l’une, plus interprétative pour l’autre, plus intime pour l’une, plus publique pour l’autre, Nada el-Hage et Yara Bou Nassar laissent éclater les mots dans un recueillement général.
Toute la portée d’une lecture poétique prend son sens, pour le spectateur-auditeur, parce que, d’un coup, il entrevoit la présence de l’autre dans ces mots qu’il n’a pas lui-même choisi de lire. Une lecture poétique publique qui se transforme en autant d’apartés à trois qu’il n’y a de spectateurs. Pour chacun d’entre nous, les murmures que nous percevons se dédoublent: il y a celui qui les énonce, l’esprit d’Ounsi el-Hage, et celui qui les porte, l’interprète avec tout son propre vécu, la manière dont lui-même les a perçus, ces mots qui ne lui appartiennent pas, mais qu’il fait siens, avant de les donner à son tour, au spectateur, encore plus chargés, encore plus légers. «Tout ce temps perdu qui aurait été la vie». Et la soirée se termine en emportant le livre, au creux des mains, pour une lecture autre, une rencontre autre, mais qui ne sera plus jamais la même.
Nayla Rached