Vingt-deux ans après la conclusion d’une trêve fragile entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, les combats ont repris vendredi 1er avril dans le Haut-Karabagh, faisant une centaine de morts et environ 300 blessés. Avedis Guidanian, vice-président du parti Tachnag au Liban, explique à Magazine les enjeux de cette reprise des tensions.
Que s’est-il passé le week-end dernier dans le Haut-Karabagh?
Dans la nuit du 2 au 3 avril, les bombardements par l’armée d’Azerbaïdjan, via des hélicoptères ou des drones, se sont produits jusqu’à mardi à midi, quand un nouveau cessez-le-feu a été conclu. Pour l’heure, et selon des sources sur place, nous enregistrons 100 morts civils et militaires, 300 blessés et 26 personnes portées disparues. C’était une attaque très violente, la plus violente depuis l’arrêt des combats en 1994.
Pourquoi, selon vous, le cessez-le-feu précaire, qui tenait depuis 1994 dans le Haut-Karabagh, a-t-il été rompu la semaine dernière?
Les causes de cette nouvelle escalade viennent tout d’abord du soutien et de l’encouragement de la Turquie à l’Azerbaïdjan à reprendre les violences dans le Haut-Karabagh. Ankara a beaucoup de problèmes actuellement, tant avec les Etats-Unis qu’avec la Russie au Moyen-Orient. Donc la Turquie essaie, avec le Haut-Karabagh, d’ouvrir un nouveau point chaud dans le Caucase. Les Turcs tentent de faire pression en renouvelant un autre problème ailleurs qu’au Moyen-Orient, via le front du Haut-Karabagh.
Entre 1988 et 1994, la guerre dans le Haut-Karabagh avait fait 30 000 morts. Un cessez-le-feu a été signé en 1994, mais cela n’a guère avancé depuis. Pourquoi?
Pour comprendre la situation, il faut revenir sur l’histoire du Haut-Karabagh. Il faut savoir que cette région et l’Arménie ont historiquement 200 ans d’existence commune. Le Haut-Karabagh a été détaché de l’Arménie en 1922 par Staline, qui l’a inclus dans l’Union soviétique. La République d’Azerbaïdjan a, elle, été fondée en 1918. En 1988, avec la chute de l’URSS, l’Arménie est devenue un Etat indépendant. Puis, en 1991, le Haut-Karabagh a organisé un référendum et a proclamé son indépendance. Mais la République du Haut-Karabagh n’a été reconnue par aucun pays de la communauté internationale, pas même par l’Arménie, car cela signifierait que c’est un pays, alors que cela fait partie du territoire arménien. De 1988 à 1994, les combats se sont déroulés sur la frontière entre l’Azerbaïdjan et le Karabagh. Puis en 1994, un cessez-le-feu est venu mettre un terme au conflit armé entre l’Azerbaïdjan qui voulait récupérer la région et l’Arménie. Cessez-le-feu qui a d’ailleurs été violé plusieurs fois.
Cessez-le-feu mais pas de résolution de paix définitive, malgré les efforts du Groupe de Minsk sur le Haut-Karabagh? Pour quelle raison?
L’Azerbaïdjan a refusé, ces dernières années, de s’asseoir à la table des négociations avec l’Arménie dans des réunions patronnées par le Groupe de Minsk, présidé conjointement par les Etats-Unis, la Russie et la France. Bakou veut récupérer tous les territoires qui ont été repris par l’Arménie. Or, l’Arménie et nous, le parti Tachnag, refusons de céder aucun centimètre carré occupé par les Azéris, puisqu’historiquement, le Karabagh fait partie de l’Arménie. 150 000 Arméniens y vivent. Des volontaires arméniens qui avaient combattu de 1988 à 1994 ont rejoint les rangs de l’armée sur place pour l’aider, car ils connaissent déjà le terrain.
Le parti Tachnag est-il présent dans le Haut-Karabagh?
Oui, nous avons sept députés au Parlement, ainsi qu’un vice-président du gouvernement.
Etes-vous optimiste par rapport au cessez-le-feu conclu mardi?
Non, car nous craignons une reprise de la violence. Nous savons très bien que la Turquie poussera l’Azerbaïdjan à une solution militaire et non pas pacifique, afin de faire pression sur ceux qui ont le pouvoir de décision au Moyen-Orient. Nous, nous sommes pour une solution diplomatique. Si le cessez-le-feu conclu mardi tient bon, je crois que c’est le maximum que nous pourrons obtenir pour l’instant. Il n’y a pas de solution définitive en vue.
République non reconnue par la communauté internationale, sans ressources naturelles, de quoi vit le Haut-Karabagh?
L’Arménie aide bien sûr beaucoup pour le budget. Et la région compte aussi sur les investisseurs de la diaspora arménienne et étrangers qui ont permis de renforcer l’économie. L’agriculture est très avancée. La diaspora organise également des opérations de levées de fonds pour soutenir la région comme elle peut.
L’Arménie et le Haut-Karabagh ont-ils les moyens de répliquer militairement, en cas de guerre?
Pour tout ce qui est militaire, bien évidemment, l’Azerbaïdjan est supérieur. Mais les Arméniens ont la fibre et la volonté patriotiques pour résister.
Propos recueillis par Jenny Saleh