Pour Samir Daher, conseiller économique de l’ancien Premier ministre Najib Mikati, refuser la création de camps pour les réfugiés était une erreur. Aujourd’hui, le Liban serait devenu un camp à ciel ouvert. Il appelle à la création de quotas dans les pays arabes et lance un coup de gueule à la communauté internationale.
L’afflux de réfugiés syriens au Liban aurait-il pu bénéficier à notre économie?
Oui, il est certain que l’arrivée de 1,2 million de réfugiés syriens au Liban a augmenté significativement la demande et boosté la consommation locale. Il est cependant important de remettre cette demande supplémentaire dans son contexte. Ce qui mesure le bien-être de la population dans un pays est bien le P.I.B. par habitant. Or, même si le P.I.B. est plus élevé car il est soutenu par la demande syrienne, il faut prendre en compte le nombre d’habitants au Liban qui a augmenté bien plus vite que le P.I.B.. Cela signifie que le revenu par habitant n’a pas augmenté de manière proportionnelle à l’augmentation de la population. Il a au contraire diminué avec la crise syrienne. L’arrivée de réfugiés syriens au Liban a ensuite conduit à un appauvrissement des populations les plus pauvres et a mis de côté les travailleurs non qualifiés sur le marché du travail. Le Liban est devenu aujourd’hui un camp de réfugiés à ciel ouvert et ce sont les personnes les plus vulnérables qui ont été les plus affectées. La ville de Ersal compte par exemple, aujourd’hui, 85 000 réfugiés pour 35 000 Libanais, alors qu’il s’agit d’une des régions les plus pauvres du pays.
Quel message souhaitez-vous adresser à la communauté internationale?
A la communauté internationale, je souhaite aujourd’hui crier: gardez votre argent et acceptez des réfugiés. La crise des réfugiés n’est pas seulement un problème quantitatif, elle touche directement à l’identité nationale libanaise, mais également au visage socioéconomique et à la stabilité du pays. Les organisations internationales ont insisté, l’an dernier, sur la nécessité pour les réfugiés syriens de trouver d’autres moyens de subsistance que leurs aides en demandant au gouvernement libanais d’accorder des permis de travail aux déplacés. Or, il est impensable de demander à un pays de 4 millions d’habitants d’intégrer économiquement 1,5 million de personnes, ce serait leur donner une raison de ne pas rentrer chez elles et même de pousser d’autres Syriens à venir au Liban. Je n’ai pas honte de le dire, je ne veux pas rendre la vie des réfugiés syriens aussi confortable que celle des Libanais. Je ne veux pas non plus encourager un exode économique, car c’est aussi le cas aujourd’hui. L’économie syrienne s’étant effondrée à cause de la guerre, beaucoup de réfugiés viennent au Liban pour travailler.
Quelles mesures préconisez-vous pour faire face à la crise des réfugiés?
Pourquoi les Européens ont-ils demandé un quota pour la question des migrants et nous, les pays de la région directement concernés par cette question, n’avons rien fait? Je demande la mise en place d’un quota pour les réfugiés syriens dans la région. Que ces derniers soient répartis entre les différents pays de manière équitable et proportionnellement à la population du pays d’accueil, à sa superficie et inversement proportionnel à la densité de population. Aujourd’hui, le Liban est devenu le 5e pays à la densité de population la plus élevée au monde. Il faut ensuite réclamer la création de zones sécurisées en Syrie pour éviter l’exil, refuser l’intégration des Syriens dans l’économie libanaise et cantonner leur emploi aux secteurs qu’ils occupaient avant la crise: la construction et l’agriculture. Il est enfin urgent de voter un budget. L’absence de budget depuis dix ans a laissé libre cours aux politiciens d’établir des dépenses sans plafond. Il s’agit pour la plupart de dépenses courantes qui empêchent tout investissement et développement économique sur le long terme. Ces dépenses courantes séduisent l’opinion publique, gonflent la cote des politiciens, mais ne bénéficient pas à l’économie sur le long terme. Il n’est jamais trop tard pour le Liban, il faut développer les secteurs qui ne sont pas vulnérables à l’instabilité politique et nous en avons: l’économie du savoir, les technologies, l’innovation et la recherche-développement.
Propos recueillis par Soraya Hamdan