La Banque mondiale l’a écrit noir sur blanc dans son dernier rapport: la corruption et l’obscurantisme politique sont les principaux obstacles au développement du Liban.
Selon la Banque mondiale (BM), les responsables politiques libanais se cacheraient derrière le voile du système confessionnel pour mieux servir leurs propres intérêts.
L’institution a identifié cette contrainte majeure au développement dans son dernier Diagnostic systématique du pays (DSP) qui a pour but d’identifier les obstacles auxquels le Liban doit faire face pour créer de l’emploi et réduire la pauvreté.
Pour Eric Le Borgne, un des auteurs du rapport, «ce qui caractérise l’économie libanaise n’est pas la faiblesse de sa croissance mais sa volatilité. Même pendant les périodes de grande prospérité économique comme en 2009, la croissance n’était que très peu créatrice d’emplois. Les emplois créés sont, quant à eux, ce qu’on nomme des emplois à faible productivité».
Marchés monopolistiques
Selon Le Borgne, l’économie libanaise a échoué à créer une croissance inclusive. «Si le P.I.B. réel a augmenté de 4,4% de 1992 à 2014, de nombreux chocs se cachent derrière ces chiffres, en particulier l’instabilité politico-sécuritaire. Depuis la fin de la guerre civile, l’extrême pauvreté a varié dans une fourchette allant de 7,5 à 10%, tandis que la pauvreté a oscillé aux alentours de 28%».
Pour l’économiste Kamal Hamdan, «ce rapport prouve l’échec du système actuel. Les taux de pauvreté n’ont pratiquement pas bougé en trente ans malgré les pics de croissance économique», insiste-t-il.
La raison de cet échec du partage de la prospérité est, en premier lieu, l’accaparement des richesses par une élite. Eric Le Borgne souligne: «Au Liban, 40% des marchés sont monopolistiques et le confessionnalisme sert les intérêts de la minorité dirigeante. Si les Libanais n’ont pas l’électricité en continu, ce n’est pas parce qu’ils ne savent pas comment en produire. Le problème de l’EDL (Electricité du Liban) n’est pas un problème technique, mais bien politique».
Le coût annuel de la gouvernance confessionnelle a été estimé à 9% du P.I.B. libanais par la Banque mondiale.
Quelles solutions pour sortir le pays de ce piège? Pour Thomas J. Jacobs, le second auteur du rapport, «les solutions doivent passer par une décentralisation du pouvoir, la mise en place de réformes structurelles, la promotion de la stabilité politique et l’instauration d’un Parlement non confessionnel».
De son côté, Marwan Barakat, économiste en chef à la Bank Audi, préconise une hausse des exportations libanaises d’au moins 15% par an, un allègement de la pression sur la balance des paiements et un soutien urgent au secteur externe. Selon l’expert, les investissements en infrastructures de base pour soutenir la croissance économique devraient, quant à eux, passer de 1,2% du P.I.B. à 5% de celui-ci chaque année.
De son côté, l’ancien ministre des Finances, Georges Corm, a identifié d’autres contraintes que les deux principales citées par la Banque mondiale. «Il faut mentionner le problème des pouvoirs oligopolistiques du privé au Liban, a-t-il ajouté, le coût élevé des terrains qui entrave la création d’entreprises et l’exploitation sauvage de nos ressources naturelles qui ont, elles aussi, un coût économique».
«Aujourd’hui, la corruption a atteint un tel niveau que je ne vois guère d’opportunités pour en sortir. Un coup d’Etat? La révolution? Même celle qui s’est amorcée en marge de la crise des poubelles a été sévèrement réprimée».
Alors n’existe-il aucun espoir pour la jeunesse libanaise de voir souffler sur son pays un vent de changement? Pour Kamal Hamdan, le principal problème qui empêche aujourd’hui ce changement de se produire est la division de la classe populaire libanaise.
«La bourgeoisie est au contraire très unie, note-t-il, tout comme le pouvoir en place. Car si nos hommes politiques peuvent donner l’impression d’être divisés de temps en temps, ne vous fiez pas aux apparences, ils sont en réalité bien plus unis qu’ils ne le laissent paraître». La dictature confessionnelle risque bien de continuer à régner encore longtemps au Liban.
Soraya Hamdan
L’autre barrière
L’autre contrainte identifiée par la Banque mondiale comme un frein à la réduction de la pauvreté et à la création d’emplois est le coût des conflits et de la violence qui compromet le partage de la richesse. Selon le rapport, la guerre civile a réduit de moitié la taille de l’économie libanaise. Le conflit de 2006 avec Israël a provoqué des dégâts réels, estimés à 2,8 milliards de dollars et, indirects, évalués à 700 millions de dollars. Le conflit syrien a, lui, coûté 7,5 milliards de dollars de perte de production à l’économie libanaise, tandis qu’il a creusé le déficit budgétaire de 2,6 milliards de dollars uniquement sur la période 2012 et 2014.