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Nº 3049 du vendredi 15 avril 2016

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De Brisbane à Beyrouth. Le récit rocambolesque d’un kidnapping

Deux enfants retrouvent leur père, après une tentative d’enlèvement orchestrée par leur mère australienne, une équipe de télévision et un équipage de bateau, devant la justice. Au total, neuf personnes, cinq Australiens, deux Britanniques et deux Libanais, arrêtées, dont la mère, Sally Faulkner. Cela aurait pu être le dénouement heureux d’une histoire banale, un simple fait divers qui aurait passionné l’opinion publique pour quelques jours avant de tomber dans l’oubli. Mais c’était sans compter avec tous les éléments qui s’enchevêtrent dans cette affaire, dont le moindre n’est pas le lien de parenté de la grand-mère des enfants, Ibtissam Berry, avec le président de la Chambre, Nabih Berry, et l’intervention de Jamal Rifi, frère du ministre démissionnaire de la Justice, qui vit en Australie.  

Tout a commencé le matin du mercredi 6 avril, au moment où la grand-mère, Ibtissam Berry, accompagnée de l’employée de maison, attend le bus scolaire avec ses deux petits-enfants, Lahela (6 ans) et Noah (4 ans), dans le secteur de Sainte-Thérèse à Hadath. Normalement, c’est leur père, Ali el-Amine, qui s’occupe de cette tâche. Mais, ce jour-là, Ali avait rendez-vous avec quatre personnes, qui ne viendront pas, dans les locaux de l’école de surfing qu’il tient à Beyrouth. Par la suite, il s’est avéré que cela n’était qu’un prétexte pour le tenir éloigné de ses enfants. Tout se passe rapidement. Une voiture s’arrête devant l’arrêt du bus et trois individus armés descendent d’une Hyundai de couleur argentée, frappent la grand-mère à la tête, jettent l’employée de maison à terre, alors qu’elles essayaient d’empêcher les hommes de s’emparer des enfants et de remonter dans la voiture, qui file à toute vitesse. La scène est filmée par un cameraman.
Ce qui aurait pu être un drame ne tarde pas à être dénoué. Les retrouvailles entre Sally Faulkner et ses deux enfants n’auront pas duré longtemps. En moins de 24 heures, la mère australienne, instigatrice de cet enlèvement, est arrêtée et les enfants sont rendus à leur père. Contrairement à ce qui a été rapporté, elle ne se trouvait pas à l’ambassade d’Australie avec ses deux enfants. Elle a été retrouvée par les forces de l’ordre dans un appartement à Beyrouth. Il faudra moins de temps aux services de sécurité pour arrêter l’équipe de l’émission 60 minutes de la chaîne australienne, Channel 9, qui a financé cet enlèvement, le capitaine du bateau sur lequel la mère et ses deux enfants, Lahela et Noah, étaient sur le point de quitter le Liban pour Chypre, ainsi que les deux Libanais qui ont participé au rapt. Seraient-ce les relations de parenté de la grand-mère, Ibtissam Berry, qui n’est autre que la cousine du président de la Chambre? Quoi qu’il en soit, les services de sécurité ne tardent pas à tirer les choses au clair et, en un temps record, mettent la main sur tous les protagonistes dans cette affaire qui aurait pu, de plus, créer un grave incident diplomatique entre le Liban et l’Australie. Cette affaire rocambolesque s’est achevée par une décision du procureur général près la Cour de cassation du Mont-Liban, le juge Claude Karam, d’inculper les neuf personnes arrêtées pour «rapt de mineurs».
Pour comprendre les détails de cette histoire digne d’une superproduction hollywoodienne, il faudrait peut-être remonter un peu plus loin dans le temps, jusqu’en 2013, à l’époque où Sally Faulkner vivait encore avec son mari Ali el-Amine au Liban. Mais avec la recrudescence des attentats dans la banlieue sud, Ali décide d’installer sa famille et ses deux enfants en Australie. C’est alors que les problèmes du couple commencent. Sally lui fait part de son intention de se séparer de lui, quoiqu’ils n’aient pas officiellement divorcé à ce jour. Durant deux ans, il fait les allers-retours entre les deux pays. En été, il s’occupe de son école de surfing à Beyrouth et passe le reste de l’année en Australie.
Selon les proches de Sally Faulkner, en mai 2015, Ali el-Amine décide d’amener ses enfants avec lui au Liban pour les vacances. Elle donne son accord pour trois semaines de vacances mais, plus tard, son mari annonce à Sally, par Skype, qu’il ne les ramènera pas en Australie et qu’il désire voir grandir sa fille et son fils au Liban, parmi une famille nombreuse. Les proches de Faulkner affirment qu’elle avait tenté, à maintes reprises ces derniers mois, d’entrer en contact avec son époux. Toujours sans succès.
Désespérée, Sally Faulkner se tourne vers l’émission 60 minutes de la chaîne de télévision australienne, Channel 9, pour l’aider à récupérer ses enfants. Elle accuse son ex-mari d’avoir refusé de leur permettre de rentrer en Australie après des vacances au Liban. Selon des sources informées, Channel 9 aurait versé à une agence européenne très controversée, spécialisée dans la récupération d’enfants kidnappés, la Child abduction recovery international (Cari), la somme de 100 000 dollars, à condition de pouvoir filmer le kidnapping des enfants. Selon les services de sécurité libanais, le plan consistait à enlever les enfants et à les exfiltrer par bateau jusqu’à Chypre, où ils obtiendront des passeports australiens qui leur seront délivrés par l’ambassade d’Australie à Chypre.
 

Grandeur d’âme
Bien que choqué par la nouvelle de l’enlèvement, Ali el-Amine a affirmé  d’emblée, en retrouvant ses deux enfants, qu’il n’intenterait pas un procès à sa femme. «C’est la mère de mes enfants après tout. Je ne ferai rien contre elle», a-t-il déclaré. En réalité, il n’était pas vraiment surpris par l’acte de Sally Faulkner. Jusqu’au mois de décembre 2015, il avait toujours accès à ses mails et avait eu vent d’une opération en préparation, mais il n’a jamais pensé que son épouse irait jusqu’au bout de ses plans. Les services de sécurité proches de la famille l’avaient informé de la présence de Sally Faulkner au Liban et qu’elle avait été vue dans la région de Hadath. «Je n’ai jamais pris tout cela au sérieux. Je croyais qu’elle voulait simplement voir les enfants et me parler. Ce qu’elle a fait est totalement fou. Elle savait parfaitement que je les emmenais au Liban. Je n’ai pas kidnappé mes enfants. C’est elle qui nous avait accompagnés à l’aéroport. Ce sont mes enfants autant que les siens».
Après avoir rencontré, vendredi 8 avril, Sally Faulkner au commissariat où il a retrouvé Lahela et Noah, Amine affirme: «C’est vrai qu’elle est leur mère, mais je ne suis pas un mauvais père. Mes enfants sont tout pour moi. Ils sont toute ma vie». Déversant sa colère sur l’agence qui a organisé le rapt, il a accusé Channel 9 de racisme dans la couverture d’un drame familial. «Ils essaient de me peindre comme un kidnappeur d’enfants parce que je m’appelle Ali. Comme si j’allais emmener mes enfants s’entraîner à l’Etat islamique».
Au-delà de ce drame, c’est tout le problème de la garde des enfants qui se pose dans un pays où l’Etat ne se mêle pas du statut personnel de ses citoyens, celui-ci relevant des dix-huit communautés religieuses reconnues. De confession chiite, et selon le tribunal jaafari, le père obtient la garde des garçons à partir de l’âge de 2 ans et les filles à partir de 7 ans. Comme chaque chose, cette affaire divise l’opinion publique libanaise entre les partisans de Ali el-Amine et ceux de Sally Faulkner, qui ne voient dans ce rapt que le geste désespéré d’une mère privée de ses enfants. Qui a raison, qui a tort? La justice aura le dernier mot… 

Joëlle Seif

Qui est la Cari?
Agence européenne controversée, basée à Londres, la Child abduction recovery international (Cari) est spécialisée dans la récupération des enfants kidnappés et c’est elle qui a effectué le rapt de Lahela et Noah, en plein jour, dans les rues de Beyrouth.
Channel 9 lui aurait payé plus de 100 000 dollars pour couvrir l’enlèvement des deux enfants dans le cadre de l’émission 60 minutes. Son CEO, Adam Whittington, est un ancien soldat australien qui a travaillé dans la London Metropolitan police après avoir obtenu la nationalité britannique. Il réside en Europe et, en 2000, il fonde son agence. Whittington fait partie des personnes arrêtées et détenues au Liban. C’est le capitaine du bateau qui devait transporter Sally Faulkner et ses deux enfants à Chypre. Les cinq autres Australiens arrêtés dans le cadre de cette affaire sont la mère Sally Faulkner, la journaliste Tara Brown, le producteur Steven Rice et deux cameramen.  

Ce que disent les Australiens
En Australie, l’opinion publique a été fortement secouée par cette histoire. Le Premier ministre australien, Malcolm Turnbull, a affirmé que le gouvernement australien offrait son assistance consulaire aux personnes arrêtées. De Sydney, il a déclaré: «Vous devez comprendre qu’en pareilles circonstances, moins je dis, mieux ça vaut pour les gens».
Sally Faulkner qui serait, selon certaines informations, mère d’un bébé de trois mois, se porterait très bien et serait bien traitée selon son actuel compagnon, Brendan Pierce, qui vit à Brisbane. Interrogé par la presse locale, celui-ci n’a pas voulu en dire plus en raison du caractère fort délicat de l’affaire. Quant à Channel 9, elle dit qu’elle faisait de son mieux pour soutenir la mère et l’équipe de tournage, sans toutefois confirmer avoir payé plus de 100 000 dollars pour financer cette opération.
Jamal Rifi, frère du ministre démissionnaire Achraf Rifi, installé en Australie, déclare, à son tour, avoir établi des contacts avec le ministère libanais de la Justice. «Mon seul souci est que les Australiens soient traités de manière humaine». Il a affirmé que les autorités australiennes et libanaises entretiennent une relation amicale et professionnelle et les détenus étaient bien traités. «Au départ, les Libanais ont interprété cela comme une violation de leur souveraineté. Le public libanais a de la sympathie pour Sally Faulkner, mais il est en colère contre les moyens utilisés».
Quant à la chaîne ABC, elle déclare que «la libération des personnes arrêtées pourrait prendre du temps pour des raisons politiques, à cause du lien de parenté qui existe entre la mère d’Amine et le président de la Chambre, Nabih Berry, son cousin». De leur côté, les officiels de l’ambassade australienne au Liban visitent régulièrement les détenus pour s’assurer de leur confort.

Photos: dailymail.co.uk – telegraph.co.uk – © Sally Faulkner – AFP – DR – Facebook/Surf Lebanon

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