Magazine Le Mensuel

Nº 3049 du vendredi 15 avril 2016

Semaine politique

Treize ans de prison pour Samaha. Le Tribunal militaire revoit sa copie

Après que son dossier fut passé en Cour de cassation, l’ancien ministre Michel Samaha écope de treize ans de prison avec travaux forcés pour une action terroriste qu’il a préparée en août 2012. Plan ourdi à la demande du régime syrien qui lui aurait fourni les explosifs nécessaires pour organiser des attentats contre des personnalités politiques et religieuses hostiles à Bachar el-Assad.
 

L’ancien ministre et député, Michel Samaha, a été condamné en Cour de cassation à treize ans de travaux forcés et à la déchéance de ses droits civiques. Il a été jugé pour le transport d’explosifs visant à commettre des attentats terroristes au Liban, en collaboration avec des responsables syriens. L’argent avec lequel l’accusé devait payer ses complices pour exécuter les attentats a été confisqué et remis à l’Armée libanaise.
Michel Samaha a déjà purgé quatre ans de prison, il lui en reste donc neuf, avec comme seule perspective de libération une amnistie présidentielle qui, selon l’article 53 de la Constitution, seul le chef de l’Etat peut l’accorder par décret… scénario très improbable d’autant plus que la présidence est toujours vacante.
Proche du président Bachar el-Assad, (il a été pendant un certain temps son conseiller) Samaha avait été placé en examen en août 2012 après qu’on eut trouvé dans le coffre de sa voiture des explosifs qui lui auraient été délivrés en Syrie. Il était accusé d’avoir formé un groupe armé dont le projet était de faire exploser des bombes préparées en Syrie pour «exacerber les dissensions religieuses» au Liban, avaient alors déclaré les autorités libanaises. Michel Samaha avait aussi planifié, avec Ali Mamlouk, chef des services de sécurité syriens, l’assassinat de personnalités politiques et religieuses libanaises hostiles à Damas.
Ce jugement fait suite à une première peine de quatre ans et demi de réclusion et à la remise en liberté provisoire de Samaha en janvier dernier. Une libération qui avait provoqué un tollé dans l’opinion publique et dans les milieux politiques libanais, opposés au régime syrien, notamment chez l’ancien Premier ministre, Saad Hariri, qui avait alors déclaré: «La décision unanime des membres de la Cour est une récompense gratuite au criminel et une violation des sentiments de la majorité des Libanais. Elle est honteuse et suspecte». Après le jugement du vendredi 8 avril, Hariri s’est immédiatement exprimé sur son compte Twitter, se félicitant de la décision du tribunal: «Le terroriste Michel Samaha retourne aujourd’hui en prison, là où se trouve la place de tous ceux qui planifient l’assassinat d’innocents, qui tentent de faire plonger le Liban dans la guerre civile». Le ministre démissionnaire de la Justice, Achraf Rifi, a salué le verdict dans un long communiqué. «La justice doit maintenant poursuivre son travail et juger les commanditaires qui sont le président syrien Bachar el-Assad et ses lieutenants», a-t-il dit.

 

Point de vue juridique
Du point de vue juridique, comment se fait-il que le verdict du Tribunal militaire ait changé en Cour de cassation? «Le Tribunal militaire permanent, explique à Magazine Michel Lyan, ancien bâtonnier de Beyrouth, est présidé par un officier et est composé de quatre membres, dont trois officiers et un juge civil. Son premier verdict était illogique et contre la loi même. Un homme coupable a été presque innocenté et accusé simplement de transport d’explosifs, comme si l’acte était bénin. D’autre part, le tribunal avait séparé le dossier de Michel Samaha de celui de Ali Mamlouk, alors qu’il y avait moyen de ne pas le faire. C’est précisément ce verdict qui a permis au procureur général de présenter une demande en cassation devant une cour formée d’un juge civil et de quatre officiers». Lyan poursuit: «Prenant en considération ses profondes convictions et les pressions de l’opinion publique, dans son réquisitoire il a plaidé pour la peine de mort. Mais le Tribunal militaire, après concertations, (fait nouveau parce que, généralement, ce tribunal est ferme et ne donne pas la latitude à ses membres de discuter, certains réclamaient 10 ans de prison, d’autres 20 ans) a prononcé la sentence établie contre Michel Samaha, le condamnant à treize ans de travaux forcés et à la déchéance de ses droits civiques pour complot terroriste. Mais cela ne doit pas nous empêcher de réclamer la réforme des prérogatives du Tribunal militaire, comme cela se passe dans tous les pays modernes et démocratiques».
Sur le plan politique, les observateurs considèrent que vu la colère grandissante qui s’est manifestée dans la rue, mais aussi les pressions politiques exercées par les milieux du 14 mars, notamment par le Courant du futur, les juges n’avaient plus de choix que celui de se prononcer sévèrement contre Samaha.

 

Le Hezbollah silencieux
Le ministre de la Justice, Achraf Rifi, avait décidé de démissionner pour dénoncer ce qu’il a considéré une injustice inégale, appelant à la dissolution du tribunal. D’ailleurs, Samaha, au cours des audiences, a essayé d’utiliser ces faits à son profit et l’un des grands axes de sa défense avait résidé dans le caractère politique de l’affaire: «Je demande que le verdict soit libéré des pressions politiques exercées sur le Tribunal militaire», avait-il insisté à maintes reprises. En vain…
Du côté du Hezbollah, motus et bouche cousue, le parti préférant s’abstenir de tout commentaire, d’une part pour ne pas exacerber les tensions communautaires et, d’autre part, pour ne pas compromettre son dialogue avec le Courant du futur. Certains vont jusqu’à dire que toute cette affaire Samaha n’aurait pas eu lieu si l’ancien ministre n’avait pas été lâché par ses alliés syro-libanais et placent le mutisme du Hezbollah dans ce cadre.
Du côté du 8 mars, Jamil el-Sayyed et Wiam Wahhab se sont exprimés à leur manière, insistant sur le caractère politique du cas Samaha, estimant que l’ancien ministre ne mérite pas ce qui lui arrive et espérant que la justice n’adopte pas la politique des deux poids deux mesures.

Danièle Gergès
 

La guerre des hashtags
Selon des sources proches du ministre démissionnaire de la Justice, Achraf Rifi s’attendait qu’aussitôt le verdict tombé, ses relations avec le Courant du futur reprendraient leur cours normal et que la relation vacillante qu’il entretient avec Saad Hariri en soit consolidée. Rifi considère qu’il a pesé de tout son poids dans cette affaire et qu’il doit en récolter les dividendes. Il a mobilisé la rue contre le Tribunal militaire et son verdict et est allé jusqu’à présenter sa démission (Il a cependant continué à signer les décrets et a refusé que la ministre Alice Chaptini le fasse à sa place). Mal lui en prit, ses attentes sont tombées à l’eau, puisque l’ancien Premier ministre, Saad Hariri, a très vite tweeté: «Le verdict prononcé contre Michel Samaha prouve que le suivi des tribunaux et la transparence vis-à-vis de l’opinion publique constituent la bonne voie pour que justice soit faite, loin des surenchères et des comportements politiques irréfléchis». Ce commentaire a été tout de suite compris par les internautes comme étant adressé au ministre de la Justice. D’ailleurs, le journaliste Charles Jabbour, proche des Forces libanaises, a immédiatement tweeté: «Si Saad Hariri parle d’Achraf Riffi en disant ‘loin des surenchères et des comportements politiques irréfléchis’, il se trompe complètement dans son approche, parce que la réaction du ministre de la Justice a poussé le tribunal à être plus ferme dans son jugement». Et la polémique ne s’est pas arrêtée là. Deux hashtags sont apparus: l’un soutenant Saad Hariri #Saad_Hariri_a _raison (#Sadaka_Saad_Hariri) et l’autre #la_punition_au_criminel_Samaha_merci_Achraf_Rifi.

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