L’éditorial publié dans ces mêmes colonnes, la semaine dernière, a suscité de vives protestations de la part d’un défenseur du droit des animaux. Si les chiens, les lions, les orques, les oiseaux, les abeilles et autres créatures vivantes du monde animal avaient la possibilité de s’exprimer dans une langue que nous comprenons, Magazine aurait sans doute croulé sous les droits de réponse qu’ils auraient envoyés à la rédaction, a-t-il assuré.
Dans notre dernier éditorial, nous avions comparé l’Homme à l’Animal, en pensant qu’une telle image exprimerait de la manière la plus appropriée la faillite morale de l’espèce humaine, en ces temps troubles et obscurs. Avec tout le sérieux du monde, notre contradicteur a jugé cette comparaison inopportune, car, selon lui, l’Animal n’a pas atteint un tel stade de déchéance pour qu’il méritât l’offense suprême et absolue d’être comparé à l’Homme.
Avec le recul, on doit effectivement reconnaître que notre réflexion était un peu trop hâtive, pour ne pas dire erronée. A-t-on jamais vu des animaux commettre des exterminations d’espèces, des massacres de masse, des tueries pour le plaisir? A-t-on jamais entendu dire qu’avant de dévorer sa proie, un prédateur lui a infligé les pires tortures? A-t-on jamais observé un animal faire subir à un congénère des humiliations, uniquement pour assouvir un sentiment de haine ou une pulsion sadique? A-t-on pu prouver que les animaux se sont livrés, un jour dans l’histoire, à une destruction systématique de leur environnement, ou qu’ils ont exploité, physiquement ou émotionnellement, leurs semblables?
L’Homme, lui, est indéfendable. Depuis son apparition sur terre, son parcours est semé de faits honteux. Il a anéanti des civilisations entières, comme celle des Incas; a dépossédé des peuples de leur terre, comme les Amérindiens et les Palestiniens; a déclenché de terribles guerres mondiales, qui ont fauché des dizaines de millions de vies; a saccagé des villes, comme Constantinople, Jérusalem, Bagdad…; a inventé l’esclavage; a pratiqué la torture; a imaginé l’exploitation de son prochain; a pollué sa planète; a provoqué l’extinction de nombreuses espèces animales… Le palmarès est peu glorieux, il faut l’admettre.
Au Liban, nous pouvons mieux qu’ailleurs vérifier la pertinence de ces observations. Nous passons de la guerre à la paix, puis de la paix à la guerre, et ce sont toujours les mêmes noms qui nous accompagnent. Les tueurs sont au pouvoir, les voleurs sont aux commandes, les corrupteurs et les corrompus sont partout. Les scandales à répétition éclaboussent tout le monde, cependant, rarement les coupables sont identifiés et sanctionnés. Parfois, le système jette en pâture à l’opinion l’un des siens, mais ce n’est que pour se renforcer.
Le Libanais est une sous-espèce à part, distinct de l’Homme et de l’Animal.
Car malgré tous les griefs qu’on lui reproche et tous les défauts qu’on lui connaît, l’Homme peut, aussi, faire preuve d’une grande noblesse de cœur et d’une étonnante créativité. Il peut consentir d’immenses sacrifices, exprimer une profonde compassion et éprouver un amour authentique. Il a créé des civilisations rayonnantes, fait avancer la Science et le Savoir et améliorer sa qualité de vie. Derrière son attitude de dominateur arrogant, juché sur le sommet des créatures vivantes, il est parfaitement conscient de ses faiblesses.
On ne peut malheureusement pas en dire autant du Libanais.
Paul Khalifeh