Bertrand Louvel, président du Conseil supérieur de la magistrature français, s’est exprimé lundi sur l’indépendance de la justice, lors d’une conférence donnée au palais de Justice de Beyrouth. Une conférence interrompue, par deux fois, par des activistes militant pour la libération de Georges Ibrahim Abdallah.
C’est devant une salle quasi comble du 5e étage du palais de Justice de Beyrouth que s’est exprimé le premier président de la Cour de cassation française et président du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), Bertrand Louvel. Introduit par son homologue libanais, Jean Fahd, le premier magistrat de France a donné une conférence instructive sur Les libertés, l’indépendance et la neutralité de l’autorité judiciaire. Un thème qui aura visiblement inspiré les partisans de la libération de Georges Ibrahim Abdallah… Par deux fois, la conférence de Bertrand Louvel a été interrompue de manière véhémente par deux activistes, une femme puis un homme, qui avaient réussi à se glisser dans la salle. S’exprimant tous deux en arabe, ils ont dénoncé une détention purement «politique» de Abdallah, «la honte du corps judiciaire français». Georges Ibrahim Abdallah a, pour mémoire, été condamné en France à la réclusion à perpétuité pour des «actes terroristes» en 1986, et demeure incarcéré malgré 30 ans de détention et plusieurs demandes de mises en liberté. Des pressions américaines sont évoquées pour justifier le refus de sa libération. Alors que les deux activistes étaient évacués, manu militari, par les hommes des FSI, Bertrand Louvel a souhaité désamorcer l’incident en soulignant: «On ne peut pas empêcher les mécontentements de s’exprimer». L’affaire Abdallah l’aura d’ailleurs suivi jusqu’à la fin de la conférence, avec une question posée par un magistrat présent dans la salle sur la détention du Libanais. «J’use habituellement de ma liberté de parole, a rétorqué le président du CSM, et je mesure l’importance de ce sujet à vos yeux. Toutefois, en tant que premier président de la Cour de cassation, je ne peux m’exprimer sur une affaire en cours, sans quoi je porterai atteinte à l’indépendance des juges», a-t-il souligné.
Le projet Big data
Plus tard, lors d’un entretien accordé à Magazine, Bertrand Louvel confiera «avoir son opinion sur ce sujet et ne pas s’en cacher», tout en réaffirmant son attachement à la «déontologie et à l’indépendance des juges», deux garde-fous qui l’empêchent de s’exprimer sur ce sujet précis.
Abordant pour Magazine, la coopération franco-libanaise en matière judiciaire, Bertrand Louvel a noté que les deux Cours de cassation procèdent «à des échanges réguliers avec des magistrats libanais qui viennent s’informer en France et des magistrats français qui viennent au Liban faire connaître leur savoir-faire». Louvel a indiqué: «Nous travaillons actuellement en France à la réforme de la motivation de nos arrêts de cassation», notamment via le «contrôle de proportionnalité qui consiste à vérifier dans chaque cas où une intervention publique, comme une loi, vient restreindre une liberté. A cause de la Cour européenne de justice, nous devons désormais vérifier que cette atteinte n’est pas disproportionnée par rapport au but poursuivi par la loi».
Il a également évoqué le projet titanesque du Big data, par lequel seront mis en ligne tous les arrêts de cours d’appel et les jugements des tribunaux, sous réserve d’anonymat. Une mine d’informations qui permettra, selon lui, «d’harmoniser les jugements et le droit en le rendant plus lisible». «On en espère même une limitation de la saisine des juges».
Bertrand Louvel est enfin revenu, pour Magazine, sur la question de la perpétuité réelle en France, sujet qui revient sur le tapis lors des faits de terrorisme. «Ce qui est important, a-t-il souligné, c’est qu’on ne désespère jamais du destin d’un homme et qu’on lui laisse toujours sa chance. Tout homme doit conserver sa chance, on doit toujours lui laisser entrevoir une porte de sortie qui l’aide à vivre, à évoluer et à se racheter. Ça c’est très important».
Jenny Saleh
Deux ministres pour le prix d’un
Situation étrange que celle survenue lundi à l’occasion de la conférence de Bertrand Louvel au palais de Justice. Le magistrat a rencontré le ministre démissionnaire de la Justice, Achraf Rifi, qui continue visiblement d’assurer ses fonctions, et salué la ministre de la Réforme administrative, Alice Chaptini, pourtant chargée, depuis la démission de Rifi, d’assurer l’intérim pour le portefeuille de la Justice. De son côté, Jean Fahd, le président du CSM libanais, dans un souci, sans doute, de ne froisser personne, a opté pour la présentation de l’un et de l’autre en charge de leurs portefeuilles initiaux, en introduction de la conférence.