Expert notoire des réseaux jihadistes, repris régulièrement par les médias francophones, le Français Romain Caillet vient de se voir licencié de son nouveau poste de consultant jihadisme à BFM TV car fiché S. Il avait déjà été refoulé du Liban en mars 2015.
Vendredi 6 mai, un communiqué laconique et inhabituel de BFM TV annonce l’interruption de sa collaboration avec son consultant jihadisme. «Romain Caillet n’a pas jugé utile de préciser un certain nombre d’éléments importants de son passé, liés directement aux questions qu’il devait évoquer à l’antenne». Une décision qui fait suite aux révélations de l’Obs, selon lequel Caillet était fiché S et qu’il avait un temps défendu les thèses jihadistes.
Initié au Caire
Très présent sur Twitter, avec 33 800 abonnés, Romain Caillet poste des traductions des communiqués ou discours d’organisations jihadistes, délivre des informations précises sur la hiérarchie des mouvements, etc. Une véritable mine d’informations pour qui s’intéresse au sujet. Le journaliste à RFI, David Thomson, fin connaisseur des réseaux jihadistes, n’hésite d’ailleurs pas à dire de Caillet qu’il est le «meilleur connaisseur de l’Etat islamique». Au Monde, il souligne que «ce qui fait sa crédibilité, c’est sa hauteur de vue universitaire et le fait qu’il ait eu un pied dans la mouvance jihadiste. C’est ce passé qui lui permet d’en être un des meilleurs connaisseurs».
Pour mieux comprendre les motifs du licenciement de Romain Caillet de la chaîne d’infos, il faut revenir sur son parcours, plutôt trouble. Converti à l’islam à l’âge de 20 ans, Caillet s’envole peu après pour l’Egypte, un master d’histoire médiévale en poche. Il y apprend l’arabe et s’installe à Nasr City, un quartier du Caire réputé pour abriter les islamistes les plus radicaux. Il suit des cours à l’institut Qordoba, considéré véritable «ruche à endoctrinement» et dont une branche sera fermée en 2005 à la demande des services de renseignements occidentaux. On le voit s’exprimer sur des forums de discussions islamistes, sous le pseudo de Colonel salafi. C’est dans ce contexte que Caillet rencontre les frères Clain, dont Fabien, l’aîné, est aujourd’hui «la voix de l’Etat islamique». Fabien Clain fut aussi impliqué dans l’attentat du Caire de 2009.
Au Figaro, Caillet précise avoir «croisé Jean-Michel Clain, mais beaucoup moins Fabien. J’ai un ami depuis vingt ans qui était en effet proche des deux frères». Des «connaissances» donc qui lui vaudront d’être mis en garde à vue en janvier 2008 par la sous-direction antiterroriste française. «Sur le jihad, je ne suis plus d’accord avec les Clain», aurait-il confié aux policiers, selon L’Obs, qui a eu accès au PV de son audition. «Depuis mars 2007, je ne suis plus pour le jihad parce que je m’oppose au fait d’entraîner des jeunes pour se sacrifier à mourir sans avoir acquis, au préalable, les bases de l’islam», aurait-il indiqué. Une version contestée par Romain Caillet dans le Figaro. «J’étais contre le jihad tout court, et pas seulement pour ces raisons», affirme-t-il. En 2008, il poste d’ailleurs des «repentis publics» sur Internet.
Expulsé du Liban
La même année, il intègre l’Institut français du Proche-Orient de Beyrouth, dirigé de 2008 à 2012 par le chercheur François Burgat, qui devient son mentor. Il y prépare sa thèse – qu’il abandonnera entre-temps – sur L’émigration des salafistes français en ‘‘terre d’Islam’’. Au fil des ans, Caillet s’affirme le spécialiste incontournable des mouvements jihadistes. Mais en mars 2015, l’aventure beyrouthine s’arrête. De retour de voyage, Romain Caillet se voit interdit d’entrée au Liban et expulsé vers la France. Il est soupçonné de «liens avec des organisations terroristes». Caillet, lui, accuse le Hezbollah d’être derrière son éviction du pays. D’autres sources, relayées par Le Monde, avancent que des «tweets hostiles à l’Armée libanaise» seraient en cause dans cette décision.
Aujourd’hui, s’il avoue ne pas comprendre les raisons de ce déballage public, Caillet se revendique d’être un «musulman conservateur (…) désenchanté par tous les courants». Mais la publication d’une photo prise à Beyrouth en 2012, aux côtés de son épouse, vêtue d’un niqab la couvrant des pieds à la tête, fait dire à ses détracteurs qu’il rejoint toujours les thèses salafistes. «Aujourd’hui, je me positionne comme un chercheur: mon rôle n’est ni de combattre ni d’approuver, mais d’expliquer», confiait-il au Figaro, en réaction à son éviction de BFM TV.
Jenny Saleh
Photo: ©Rémy Atiges