Il y a parfois, dans l’histoire, des batailles qui couvrent le vaincu de gloire et le vainqueur de honte. C’est exactement ce qui s’est passé lors des municipales de Beyrouth. Cette consultation populaire s’est terminée par l’élection de tous les membres de la liste parrainée par Saad Hariri, et supposée être soutenue par la quasi-totalité des partis politiques traditionnels, et la chute de tous les membres de Beirut Madinati, appuyée par l’omniprésente mais insaisissable société civile. Pourtant, cette victoire a, pour l’ancien Premier ministre, le goût amer de la déception, et dégage pour les vaincus un doux mélange de fierté et d’espoir.
La réflexion autour des événements de ce dimanche 8 mai, à Beyrouth, permet de dégager un certain nombre d’observations qui devraient servir d’enseignements pour les prochaines échéances. Le premier constat est que le changement est possible par la voie des urnes, en dépit des obstacles, des blocages et autres verrous installés par la caste dirigeante depuis des décennies pour empêcher non seulement une véritable alternance du pouvoir mais aussi tout partage.
Cependant, le changement ne vient pas tout seul. Il a besoin de femmes et d’hommes prêts à s’investir concrètement et disposés à consentir quelques petits sacrifices, qui apparaîtront bien dérisoires devant les immenses bénéfices qu’ils pourront en tirer. Malgré cela, un grand nombre de personnes sont restées passives, par désillusion, par paresse ou par bêtise.
L’engouement provoqué par le phénomène Beirut Madinati a touché divers milieux politiques, sociaux et professionnels. Certains ont retroussé les manches, en apportant une petite contribution à cette aventure. Mais d’autres n’ont pas jugé bon de changer leurs vilaines habitudes. Du haut de leurs tours d’ivoire ou dans leurs salons feutrés, d’où ils promènent un regard condescendant sur tout ce (et ceux) qui les entourent, ils se sont réjouis d’avoir trouvé, enfin, un nouveau sujet de commérage. On échangeait des anecdotes sur tel membre de la liste, on racontait des blagues sur le père de tel autre, parfois on ironisait sur les motivations d’Untel, ou on se moquait des ambitions d’un autre. Ce ramassis de cyniques répand en ville un sentiment d’aigreur et une culture du défaitisme qui étouffent toute initiative susceptible de bouleverser l’ordre ambiant. Ces gens-là ne doivent plus être écoutés lorsqu’ils se plaignent de leurs conditions ou quand ils prétendent donner aux autres des leçons de civisme, de patriotisme ou de citoyenneté. L’occasion leur était offerte de changer – aussi bien leur mentalité que la situation ambiante – mais ils ont été incapables de la saisir, par ignorance, par arrogance, par fainéantise, ou les trois en même temps!
L’autre constat que l’on peut établir est d’ordre politique. Les alliances qui ont rythmé la vie publique, ces dix dernières années, n’existent pratiquement plus, il n’en reste que des débris, de vagues réminiscences. Certes, les «Partis» se sont coalisés pour verrouiller le système, grâce auquel ils perpétuent leur hégémonie sur le pays pour mieux piller ses ressources. Mais ils se tendent des pièges, se poignardent dans le dos, se dénigrent mutuellement. Ce paysage recomposé aura certainement des répercussions lors des prochaines élections législatives qui ne peuvent plus être reportées sous aucun prétexte.
Autre observation, découlant de ce même constat, les «Partis» ne sont parvenus à mobiliser que 10% de l’électorat de Beyrouth – les 10% restants ayant voté pour les autres listes -, ce qui porte un coup fatal à leur représentativité réelle dans la société. Cette élection peut sonner le glas de la domination des partis traditionnels sur la vie politique. 80% des habitants de la capitale, inscrits sur les listes électorales, sont, théoriquement, libérés de l’emprise des «Partis» et sont prêts à écouter et à adhérer à d’autres discours.
Il y a une place à prendre avec une magnifique vue sur l’avenir. Y a-t-il des preneurs?
Paul Khalifeh