Magazine Le Mensuel

Nº 3055 du vendredi 27 mai 2016

Spectacle

La lune dans le puits de Grégoire Blanchon. Tour de la Méditerranée

De Barcelone à Palerme en passant par les pays du Maghreb, la Libye, le Moyen-Orient, la Turquie et la Grèce, Grégoire Blanchon adapte le roman de François Beaune, La lune dans le puits, au théâtre, en racontant la Méditerranée.

«La Méditerranée est une bouche gercée dont la lèvre supérieure s’exprime en latin, et la lèvre inférieure en arabe. Quand elles se touchent pour déglutir, fatiguées de vibrer sans se comprendre, elles embrassent l’univers aux deux pointes centrales (…). Mais le sujet n’est pas la mer. Ce sont les hommes sur les rochers qu’il faut entendre», et François Beaune a passé toute une année à écouter les récits de ces hommes.
 

Du roman au théâtre
Au théâtre Monnot à Beyrouth, Grégoire Blanchon, à la fois metteur en scène et comédien, «retranscrit» ces histoires en les interprétant seul sur scène pendant une heure et demie, incarnant une multitude d’habitants du pourtour méditerranéen qui éprouvent le besoin de «s’exorciser» par la parole. Qu’il s’agisse d’événements politiques ou de l’Histoire d’un pays, le roman de François Beaune et la pièce de Grégoire Blanchon abordent les différents thèmes par la petite histoire, par le prisme intime des personnes.
«Les informations vues de loin perdent de leur caractère humain», comme le précise Blanchon dans un entretien recueilli par Magazine. C’est dans ce sens que, dans la pièce où jeu, chants et images se mêlent, le spectateur ne peut y voir qu’une réflexion de sa vie, passant ainsi du statut de voyeur à celui de héros. C’est dans un foisonnement de cris, de pleurs, de rires, d’espoirs, de facétie… que Grégoire Blanchon crée un amalgame terrible, ridicule et pathétique de massacres, de tortures, d’humiliations, de viols. Tant d’histoires poignantes auxquelles s’ajoute une touche humoristique qui rompt l’élan de cruauté et instaure «une autobiographie imaginaire d’un être collectif autour de la Méditerranée», comme l’indique Blanchon.
Qu’il s’agisse de coupure, de montage, de collage ou de réécriture réalisés par le metteur en scène, l’adaptation de Blanchon va du plus grand désir de fidélité à la réinvention affirmée, comme le montre clairement l’histoire du petit sculpteur sur bois juif auquel un officier allemand commande, avant Noël, le Dernier repas. Le juif, ne connaissant pas la Cène chrétienne, se trouvera dans l’obligation de «baisser son pantalon» pour avoir «sculpté avec amour un dernier repas d’une famille juive».

 

Dépasser le texte dramatique
Grégoire Blanchon a effectué un choix des scènes à représenter. «Il fallait trouver entre ces différentes histoires, qui n’ont pas toutes un rapport entre elles, un certain lien. Celui que j’ai décidé de créer est celui de l’auteur installé dans une chambre autour de la Méditerranée et entouré de cassettes, d’écrits, etc.». Le spectateur est ainsi témoin de la journée de cet auteur qui retravaille ces histoires. Au début, on le voit, quelquefois, en lecture sur ces histoires, d’autres fois en retranscription de choses qu’il entend et au fur et à mesure de la journée, chaque histoire se transformera en scènes isolées où les personnages vont s’incarner devant nous dans de petites bulles qui font en sorte que «l’auteur» disparaisse petit à petit pour laisser place à ces récits du pourtour méditerranéen. C’est donc ici que se pose la question du statut de la vérité.
«François Beaune avait appelé ces récits des «histoires vraies». Mais dans quelle mesure les histoires qui, généralement, sont fictionnelles, peuvent être réellement vraies?». Question que (se) pose Blanchon et à laquelle seul le spectateur peut répondre.


Le théâtre dans les gènes
Formé pendant quatre ans aux ateliers dirigés par Brigitte Louisgrand, Grégoire Blanchon travaille également, depuis longtemps, la musique et la danse.
Il intègre le Centre de formation professionnelle de l’acteur, La scène sur Saône, à Lyon en 2004, où il est sensibilisé au travail sur le corps, au clown et au théâtre contemporain. Blanchon se forme également dans des stages au Studio Pygmalion et intègre, un an plus tard, la compagnie Carpe Diem pour interpréter le rôle de Mesrin dans La dispute de Marivaux.

Natasha Metni

Related

Alain Plisson met en scène Dr. Knock. «Tout bien portant est un malade qui s’ignore»

Bint el-jabal. Une pièce qui renaît de ses cendres

Les Noces de Zahwa. Pour que l’art triomphe sur la mort

Laisser un commentaire


The reCAPTCHA verification period has expired. Please reload the page.