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Nº 3057 du vendredi 10 juin 2016

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La légende à Dahié et dans les camps. L’histoire des voyages libanais de Ali

Le plus grand boxeur de tous les temps, Cassius Clay, alias Mohamed Ali, s’est éteint. Retour sur le parcours incroyable d’un homme engagé, devenu légende vivante, que les Libanais ont pu côtoyer à deux reprises.

Peu de Libanais s’en souviennent. Pourtant, en 1985, alors que la guerre civile fait rage, la venue, sur le sol libanais, de Mohamed Ali, n’était pas passée inaperçue. «The Champ» ne vient pas pour combattre, en tout cas, pas sur le ring. Non, il est dépêché par le gouvernement américain, à Beyrouth, pour tenter d’obtenir la libération de quatre otages américains, William Buckley, Benjamin Weir, Lawrence Jenco et Peter Kilburn, détenus par le Hezbollah. «Nous demandons aux ravisseurs d’être miséricordieux et compatissants, de ne pas tuer les otages», déclare Ali, à son arrivée à l’Aéroport international de Beyrouth. Plusieurs photos le montrent d’ailleurs dans des quartiers de la banlieue sud, aux côtés de dignitaires religieux, en train de prier notamment. Mais sa mission restera vaine. Deux des otages trouveront la mort en captivité, les deux autres étant libérés plus tard.
Il ne s’agissait pas de sa première visite au Liban. Peu de temps après avoir raccroché les gants, en 1974, il avait visité deux camps de réfugiés palestiniens dans le Sud, déclarant que «les Etats-Unis sont le bastion du sionisme et de l’impérialisme». «En mon nom et le nom de tous les musulmans en Amérique, je déclare mon soutien à la lutte palestinienne pour libérer leur patrie et chasser les envahisseurs sionistes», avait-il lancé au sortir de ces visites. Il ira même jusqu’à se rendre en Israël, en 1985, pour tenter d’obtenir la libération de quelque 700 Libanais détenus dans le camp d’Atlit, alors que l’Etat hébreu occupe le Liban-Sud. Vœu pieux, puisque les responsables israéliens refuseront ses invitations à discuter.
 

Un mythe vivant
Ces engagements illustrent, en tout cas, l’autre vie de Mohamed Ali. Plus qu’un boxeur de légende, un mythe. La déferlante de louanges unanimes, intervenue à l’annonce de son décès, le 3 juin dernier, en atteste. Ses funérailles seront à la hauteur de l’homme qu’il a été. A Louisville (Kentucky), ce vendredi, des milliers de personnes viendront rendre un dernier hommage à The Greatest, y compris de nombreux chefs d’Etat en fonction ou pas, comme Bill Clinton ou le Turc Recep Tayyip Erdogan.
Boxeur légendaire, Cassius Clay, devenu Mohamed Ali après s’être converti à la foi musulmane en 1964, aura réussi le tour de force de devenir un mythe, de son vivant.
«Vole comme un papillon et pique comme une abeille», la devise de Mohamed Ali s’est imposée à travers les continents, sans distinction de races, ni de religions. Son visage était connu de tous, aussi bien dans le monde occidental que dans les pays du Tiers-monde.
C’est en 1942 que Cassius Clay voit le jour, à Louisville, d’un père, peintre en bâtiment, et d’une mère, domestique. C’est d’ailleurs elle qui sera la cible de son premier crochet, donné à l’âge de 2 ans… Si Louisville n’est pas en Alabama, le jeune homme ressent, dès sa plus tendre enfance, l’injustice de la ségrégation raciale. A 12 ans, il se met à la boxe. Six ans plus tard, il remporte l’or chez les mi-lourds aux Jeux olympiques de Rome. A 18 ans, du haut de ses 1,91 m, Cassius Clay estime qu’il est temps pour lui de passer pro. «L’insolent de Louisville» ne perd aucun combat. Il boxe tout en esquives et piques précises. Quatre ans plus tard, la gloire est là. A 22 ans, Cassius Clay décroche le titre de champion du monde des poids lourds, face à Sonny Liston, une vraie machine à démolir. Le lendemain de ce 25 février 1964, il annonce qu’il devient
Cassius X, effaçant à jamais son «nom d’esclave». Aux abords du ring, Malcom X, son conseiller spirituel et porte-voix des Black Muslims. Les deux hommes se connaissent depuis 1962. Le boxeur reste secret sur ses accointances avec le mouvement afro-nationaliste Nation of islam, de peur que cela ne nuise à sa toute jeune carrière. Auréolé de son titre, il annonce, un mois plus tard, que Cassius X devient Mohamed Ali. Il s’est converti à l’islam.

 

Figure de la contre-culture
En 1967, sa carrière prend une autre envergure. Plus politique celle-ci. Ali refuse de rejoindre la jeunesse américaine qui meurt dans une guerre sans fin au Viêtnam. «Aucun Vietcong ne m’a jamais traité de nègre», justifie-t-il, invoquant sa religion et sa conscience. Une prise de position qui lui coûtera son titre et son permis de boxer, retiré par les Etats-Unis. Condamné par l’armée à 5 ans de prison, il ne plie pas et emportera un autre combat, devant la Cour suprême cette fois, en 1971. Même si ses meilleures années d’athlète sont derrière lui, Mohamed Ali est devenu, entre-temps, une figure incontestée de la contre-culture.
Sur le ring, c’est une autre histoire. Un nouveau champion, Joe Frazier, a émergé le temps de sa disgrâce. Il met Ali au tapis. Celui-ci n’est même plus champion du monde, il a perdu son titre face à George Foreman, en 1973. Ce n’est qu’à Kinshasa, un an plus tard, au terme d’un combat hors norme, que l’étoile d’Ali recommencera à briller. Quelques combats d’anthologie plus tard, en 1978, Mohamed Ali est triple champion du monde. Il a 37 ans.
Mais la maladie le rattrape. Les premiers signes apparaîtront au grand public lors d’un combat organisé face à Larry Holmes, en 1980. La maladie de Parkinson le met K.-O., affectant ses deux plus grands atouts: ses mains et sa voix, dont il se servait pour intimider et invectiver ses adversaires. «C’est un jugement de Dieu. Il m’a donné cette maladie pour me rappeler que je ne suis pas le numéro 1. C’est Lui», dira-t-il alors.
Ali reste une icône planétaire. Vénéré dans tout le monde islamique pour avoir défendu les valeurs pacifiques et universelles de l’islam.

 

Rencontre avec Saddam
Sa mission en Irak, en 1990, connaîtra plus de succès que celle réalisée à Beyrouth, en 1985. Il passe un mois à Bagdad pour tenter de négocier la libération d’otages américains, cette fois, et rencontre Saddam Hussein. L’opération est un succès, puisqu’il repartira avec quinze d’entre eux. Si sa carrière est derrière lui, son aura continue de grandir. On lui remet les plus hautes distinctions internationales et humanitaires, comme celle de messager de la paix pour l’Onu depuis 1998. En 1996, l’image de Ali, tremblant pour allumer la flamme olympique lors des JO d’Atlanta, suscite l’empathie du monde.
En 2002, Mohamed Ali obtient son étoile sur le prestigieux Walk of Fame de Hollywood. Mais c’est la seule à être incrustée dans le mur du Kodak Theater, et non au sol, comme le veut la tradition. Le boxeur l’avait exigé, refusant que le nom du Prophète soit piétiné par les touristes.
Loin d’être un saint, dans la vie comme sur le ring, Mohamed Ali n’en demeure pas moins une légende, qui aura porté les espoirs de liberté de millions de Noirs américains, et même au-delà, d’un champion profondément humaniste, qui s’est opposé au système.

 

Jenny Saleh

 

Les plus grands combats de Mohamed Ali Clay
Le combat qui aura le plus certainement marqué la carrière de Mohamed Ali est, sans conteste, celui organisé à Kinshasa, le Zaïre de Mobutu, contre George Foreman, ce 30 octobre 1974. Le duel se déroule au beau milieu de la nuit, marquant le grand retour du boxeur. Foreman, invaincu en 40 combats, règne alors sans partage sur la catégorie. A Kinshasa, Ali est acclamé en héros, aux cris d’une foule survoltée qui scande «Ali, boma ye!» («Ali,
tue-le!», en lingala, ndlr). Le combat, devenu mythique, trouvera son terme au bout de la 8e reprise, mettant à terre George Foreman et marquant le retour de Ali sur la scène internationale. Il entrera dans la légende en devenant champion du monde des poids lourds pour la deuxième fois, dix ans après son titre face à Sonny Liston.
n Mohamed Ali vs Joe Frazier, à Manille, le 1er octobre 1975: il s’agit du troisième et dernier duel entre les deux hommes. Et sans doute le plus mémorable. Ali domine les premières reprises, grâce à sa vitesse, et multiplie les facéties durant le combat. Au bout du 14e round, l’entraîneur de Frazier, Eddie Futch, décide d’arrêter le massacre, de peur, dira-t-il plus tard, «que le cerveau de Joe soit réduit en bouillie». Ali, lui, s’est évanoui.
n Son combat contre Ernie Terrell, organisé à Houston, le 6 février 1967, est sans doute celui qui ternit un peu la légende de Ali. Invaincu depuis 5 ans, Terrell apparaît comme le plus dangereux challenger du boxeur. Passée l’illusion de quelques rounds, le combat tourne vite au lynchage, dès la 8e reprise. Plutôt que d’en finir avec son adversaire, Ali l’humilie, lui criant: «Quel est mon nom?», entre ses frappes. A la fin du 15e round, le visage de Terrell fait peine à voir. Ce qui fera écrire au Evening Standard, un quotidien britannique, que «Clay est tombé de haut dans l’échelle de l’idéal sportif», accusant le boxeur de cruauté calculée.

Photos: DR – UPI – Facebook  – Social Media

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