Nasri expose, jusqu’au 10 juillet, à la galerie de l’Institut français, Beyrouth, peut-être; une tentative de ville par le truchement de l’image. Il raconte, à Magazine, comment sont nées ces images-calepins, ces images d’avant les mots.
«Relativiser Beyrouth, ne pas désaimer, mais dépassionner, pour l’aimer à nouveau, ou l’aimer encore plus, ou l’aimer à notre juste valeur, elle et moi, sans déchaîner les passions». Au fil de la conversation, les préfixes se croisent, le «dé», pour déconstruire, dépassionner, afin de «re», reconstruire, ré-aimer. Entre les deux, un processus qui tient en soi, composé d’autant de mots non-dits, imagés ou de mots-images.
Des images-calepins, comme le dit Nasri, une image à cheval, un mot à cheval, entre plusieurs médiums, tous médiums éclatés, autour du silence taillé dans les mots racontés, exprimés autrement. Par des images comme substitut, comme prélude, en attendant les mots? «Non, répond Nasri, ce n’est pas en relation avec une temporalité, un avant, un après, un vers. C’est ce que c’est, pleinement, maintenant. Ça a son lexique, son vocabulaire, sa langue, ses mots. Comment construire un langage, un texte qu’avec des images? Pas à défaut de pouvoir, mais ces mots sont sortis comme ça».
Sous la forme d’images, non de photographies, précise Nasri, même si elles ont été prises par un appareil qui fait des photos, un téléphone intelligent acquis il y a à peine deux ans et qui a pavé la voie à cette pratique. «L’attraction pour l’image remonte à très longtemps et le passage à l’acte est purement accidentel», depuis qu’il a ce jouet entre les mains qui a déclenché ce jeu qu’est celui de se promener au travers de l’image, de la capturer, de la voler, de la fixer, de fixer le moment, le mouvement, dans la gratuité, la légèreté, la futilité, la liberté, la gourmandise et la solitude du geste.
Il y a une exposition certes, mais il n’y a pas de projet. Il y a la liberté dans cette exposition mise en place après une proposition d’Eric Lebas de l’Institut français (IF) de Beyrouth. «Pourquoi pas?». De ses plus de 6 000 images, Nasri a effectué une sélection difficile, les mots en filigrane dans la tête, «pas vraiment dans le but de raconter une histoire, mais dans le but du peut-être, de l’indécis, pour rester dans une fraîcheur, dans une inconstance», comme une invitation au voyage.
Se promener à Beyrouth, se balader depuis Berlin dans Beyrouth, arpenter la nuit, les nuits, le Net, la musique, l’imaginaire, la réalité et l’intime, garder aux images leur côté rugueux, physique, leur mouvance, leur impermanence. Photographier sur le vif, au volant, de loin, photographier comme dans une capture d’écran, copier, photocopier, scanner, coller, re-photographier, pas de photoshop, Nasri est un paresseux de la technologie. C’est ce qui lui permet de renouer avec le côté travaux manuels de l’enfance, de faire d’une image connue, d’une icône, d’un symbole, une image inédite. Une vision à la fois intime et autre de la ville, «Beyrouth, peut-être, ou non, sûrement Beyrouth. C’est ma vision de ce qui s’appelle Beyrouth, loin du fétichisme. Je n’entre pas dans un topo qui a à voir avec l’identité et l’appartenance. Ce n’est pas un non-respect, c’est peut-être plus d’amour, les probabilités, la légèreté, l’ouverture totale des possibles. Pour Nasri, «le peut-être est l’un des synonymes d’être libre. C’est un peut-être géographique, intellectuel, psychologique, de caractère, qui est sans attache, qui respire, non défini, non obligatoire». Mais toujours dans un rapport passionnel, explosé, dilaté, beau et épuisant, beau et amer, comme ses nuits.
Nayla Rached