Magazine Le Mensuel

Nº 3058 du vendredi 17 juin 2016

à la Une

Attentat contre la Blom. Qui veut briser les banques

Il était 20h10 dimanche 12 juin, lorsqu’une explosion a secoué le secteur Zarif-Verdun. C’est le siège principal de la Blom, l’une des plus importantes banques libanaises, qui est visé. A cette heure-ci, les musulmans rompent le jeûne et les rues sont désertes. Si cet attentat n’a pas fait de victimes (deux blessés légers), il a quand même ébranlé la stabilité sécuritaire du Liban d’une part et, d’autre part, il a de nouveau placé sur le devant de la scène la polémique qui oppose le Hezbollah – aussitôt pointé du doigt – aux banques libanaises depuis l’adoption de la fameuse loi américaine, le Hezbollah International Financing Prevention Act of 2015 (Hifpa 2015).

Il a suffi de 7 kg d’explosifs jetés dans un bac à fleurs pour faire voler en éclats la façade en verre de la Blom (Banque du Liban et d’outre-mer) et replonger le pays dans la psychose des attentats. Comme d’habitude, les accusations n’ont pas tardé à être lancées et le Hezbollah est pointé vivement du doigt. En effet, le conflit qui oppose le parti chiite aux banques libanaises ne cesse de prendre de l’ampleur. La semaine passée, une interview accordée par le gouverneur de la Banque centrale, Riad Salamé, à la chaîne américaine CNBC avait encore envenimé une situation déjà tendue. «Cent comptes bancaires environ, liés au Hezbollah, selon l’Ofac – le Bureau de contrôle des avoirs étrangers du Trésor américain – avaient été clôturés ou gelés», a affirmé le gouverneur, tout en précisant que «de par la loi, les banques ont l’obligation de fermer ces comptes immédiatement sans besoin d’autres formalités».
Les propos du gouverneur de la Banque du Liban (BDL) ont provoqué une réaction violente du Hezbollah, qui a publié un communiqué dans lequel il déclarait «la dernière prise de position du gouverneur de la Banque centrale ambiguë et suspecte. Elle traduit une tendance à soustraire la politique monétaire des garde-fous de la souveraineté nationale et, par conséquent, nous la rejetons en bloc et en détail».
 

Pourquoi la Blom?
Dans le cadre du Hezbollah International Financing Prevention Act of  2015 (Hifpa 2015), l’Ofac a mis à jour, en avril, une liste noire de 99 personnes ou institutions dont les comptes devaient être fermés, sous peine de sanctions. Ce qui signifierait, de facto, l’exclusion immédiate des banques contrevenantes du système financier international.
La première question qui vient à l’esprit est celle de savoir si c’était la Blom en particulier qui était visée par cet attentat ou si celui-ci était en fait un message adressé au secteur bancaire. Pourquoi la Blom? Parce que c’était la banque qui appliquait avec beaucoup de zèle les instructions américaines, allant jusqu’à prendre des mesures qui n’étaient pas nécessairement requises. Cette attitude a fait dire à Wiam Wahhab que la Blom était devenue «plus royaliste que le roi parce qu’on avait promis à son propriétaire, Saad Azhari (d’origine syrienne), de devenir président du gouvernement de transition en Syrie». Il y a quelques jours, un membre du bloc du Hezbollah avait indiqué au quotidien panarabe Acharq al-Awsat que la Blom Bank avait fermé les comptes de députés, de ministres et de personnalités liés au Hezbollah. S’exprimant devant le siège dévasté de sa banque, Saad Azhari a tenu des propos très mesurés. Il a appelé à la retenue et à ne pas lancer d’accusations avant la clôture de l’enquête. Il a aussi affirmé qu’il n’avait reçu aucune menace. «Nous n’accusons personne et nous attendons les résultats de l’enquête», affirme-t-il.
Cet attentat intervient à un moment où le bras de fer entre le Hezbollah et les banques atteint son paroxysme. Sur le plan sécuritaire, il a lieu au lendemain des mises en garde très sévères adressées par les ambassades du Canada, de Grande-Bretagne et de l’Union européenne à leurs employés et à leurs ressortissants d’éviter le centre-ville de Beyrouth et, plus particulièrement, Hamra. Il y a quelques jours, les services sécuritaires avaient arrêté des cellules appartenant à Daech dont les membres avaient avoué leur intention de commettre des attentats à Beyrouth contre des institutions non militaires et dans des lieux où se rendent les civils. Deux jours avant l’attentat, les services de renseignements de l’armée ont informé les services sécuritaires de l’existence de plans du Front al-Nosra, la branche syrienne d’al-Qaïda, visant à commettre des actes terroristes dans la région de Beyrouth, en particulier à Hamra.
Les avis sont partagés concernant les possibles auteurs de l’attentat. Pour les uns, même si cela n’a pas été exprimé tout haut, c’est la main du Hezbollah qu’il faut chercher derrière cet attentat. C’est un message clairement adressé au secteur bancaire, par le biais de la Blom. Le choix de la Blom est évident, car c’est la banque qui applique le plus rigoureusement les mesures américaines prises à l’encontre du Hezbollah. D’après nos informations, un compromis avait été trouvé entre les banques libanaises et la Banque centrale concernant la fermeture des comptes suspects. Avant toute mesure de fermeture, la banque concernée devrait prendre l’avis de la Banque centrale et ensuite clôturer le compte. Contrairement à cet usage, qui n’est pourtant pas prévu par la loi américaine et qui a été établi par le système libanais, la Blom a tout de suite fermé les comptes sans consulter la Banque centrale, arguant du fait qu’elle appliquait scrupuleusement les mesures américaines.
Pour d’autres, le but derrière cette explosion est d’attiser encore plus fort le conflit qui oppose le Hezbollah aux banques locales et à la Banque centrale. Ainsi, le parti chiite serait la première victime de cet attentat et qu’il était trop facile, simpliste même, d’accuser le parti de Hassan Nasrallah. Selon des sources bien informées, ceux qui ont exécuté cet attentat cherchaient visiblement à creuser encore plus le fossé qui existe entre les banques et le parti, à un moment où celui-ci subit de très fortes pressions de toute part. Les auteurs de l’attentat voulaient sciemment pointer le doigt vers le Hezbollah, raviver les tensions confessionnelles et monter les Libanais contre le parti, lui faisant assumer les sanctions financières américaines. Selon cette source, le but des auteurs de l’attaque contre la Blom est de porter un coup à l’économie libanaise et faire assumer au Hezbollah la responsabilité, de manière à ce que toute l’opinion publique se retourne contre lui. Cette source évoque une cinquième colonne qui chercherait à exploiter les tensions actuelles et à faire accuser le Hezbollah de cet attentat. Pourtant, explique cette source, l’attentat ne peut rien changer à la situation, le Hezbollah sachant parfaitement que ces mesures sont américaines et qu’elles ont été imposées au Liban sans que celui-ci n’ait son mot à dire.
Selon un observateur, les auteurs de l’attentat ont voulu mettre un terme au dialogue entre le Hezbollah et le gouverneur de la Banque centrale. Mais en réalité, ce crime n’a pas eu l’effet escompté, car il pourrait être interprété comme un message adressé aux Etats-Unis, pour qui la stabilité du Liban reste une affaire de premier plan. L’explosion de Verdun a montré que la poursuite des sanctions financières contre le Hezbollah pourrait mettre en péril la stabilité du pays et cet épisode pourrait se répéter devant d’autres banques et dans d’autres régions.
Quoi qu’il en soit et quelle que soit l’identité de l’auteur, ce crime a été organisé de manière professionnelle. Il est intervenu à un moment où la pression sur le Hezbollah est très grande et a été exécuté à une heure où la circulation était presque inexistante dans ce secteur, lorsque les musulmans rompaient leur jeûne. Visiblement, le but n’était pas de faire des victimes, mais de créer encore plus de tensions sur la scène locale. Première conséquence de cet attentat, le durcissement des positions contre le Hezbollah. Selon un observateur, si Saad Hariri avait l’intention de trouver un compromis avec Hassan Nasrallah, cet attentat aurait pour résultat de bloquer ou de retarder toute initiative.

Joëlle Seif
 

Sécurité informatique à la Blom: la prudence est de rigueur
La Blom Bank a publié un communiqué affirmant que toutes ses branches sur le territoire national sont opérationnelles et l’activité y est normale, ajoutant que tous les documents et données bancaires sont intacts. Une source bancaire a confirmé, à Magazine, que «la banque n’a pas eu besoin de recourir à son infrastructure de secours de sécurité informatique en place à Broummana, amplement suffisante pour couvrir n’importe quel risque opérationnel». Ceci n’a pas empêché l’établissement d’envoyer des SMS à sa clientèle l’informant de l’inactivation de leurs MasterCard le 15 juin 2016 de 5h à 6h pour raison de maintenance, sachant que le système de sécurité informatique devrait être testé régulièrement en temps normal. Soulignons que la politique particulièrement conservatrice de la Blom Bank compte la sécurité informatique comme une de ses priorités sur sa liste d’exigence, et que dans les circonstances actuelles, la prudence est doublement de rigueur. D’ailleurs, les banques doivent garder à l’esprit que la sécurité informatique ne s’arrête pas au périmètre du réseau du siège social. Leur défi est d’implémenter et de gérer une infrastructure de sécurité pouvant s’étendre à des centaines de succursales dispersées géographiquement.
Depuis 2004, le comité de Bâle a demandé aux banques de se prémunir contre les risques dits opérationnels, notamment en ce qui concerne la sécurité informatique: «Risque de pertes directes ou indirectes, d’une inadéquation ou d’une défaillance attribuable à des procédures, personnes, systèmes internes ou à des événements extérieurs». Le dispositif de sauvegarde comprend, entre autres, des fichiers sensibles, du logiciel et du matériel, ainsi que des procédures de remplacement du traitement de l’information. Les entreprises financières dépendent de plus en plus d’une communication en temps réel et l’environnement actuel des transactions haut débit ne peut pas être compromis. La traçabilité de l’information, sa disponibilité et son intégralité sont indispensables pour une bonne visibilité des performances potentielles bancaires.

Liliane Mokbel
 

Avis partagés à l’Association des banques libanaises
Au lendemain de l’attentat contre la Blom, l’Association des banques (ABL) a tenu une réunion à l’issue de laquelle elle a publié un communiqué. Si le ton de ce communiqué était bien mesuré et n’a porté aucune accusation, Magazine a appris que la réunion avait été en réalité houleuse. Quelques banquiers ont ouvertement accusé le Hezbollah, alors que d’autres ont accusé une cinquième colonne qui chercherait à renforcer le différend entre le parti chiite et le secteur bancaire. Cette réunion a été suivie d’une autre avec le gouverneur de la Banque centrale. Tous les participants ont été unanimes sur le point qu’il n’y aura pas de stabilité sans donner des garanties aux déposants chiites qu’ils ne seront pas pris pour cibles en raison de leur appartenance confessionnelle. Dans le communiqué, l’Association des banques a condamné l’attentat qui vise tout le secteur bancaire et a pour but de déstabiliser le secteur économique. Elle a également assuré que toutes les banques travaillaient de manière très professionnelle dans le cadre des règles fixées par les marchés internationaux et sont soumises aux lois libanaises en vigueur et aux circulaires de la Banque du Liban pour préserver l’intérêt de tous les Libanais.

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