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Nº 2899 du vendredi 31 mai 2013

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Insécurité à Tripoli, Saïda, Dahié, Ersal. A deux doigts du point de rupture

Entre Tripoli et Saïda, de Dahié aux carrefours stratégiques de la Békaa, les factions libanaises, affiliées à la rébellion syrienne armée, déterminées à faire payer au Hezbollah sa participation à la bataille de Qoussair, ont mené, ces derniers jours, une série d’opérations meurtrières contre les soutiens du régime de Bachar el-Assad et l’armée qui a perdu plusieurs de ses soldats.

L’importation du conflit syrien au Liban n’est plus un concept vain. Il est réel, inquiétant et meurtrier. Du Akkar au Nord, de la Békaa, en passant par le Hermel, qui font face à Homs et Qoussair, où se jouera le destin du conflit voisin, la géographie communautaire des régions limitrophes a effacé les frontières étatiques entre les deux pays. L’entrée en guerre du Hezbollah a changé la donne sur le terrain, donnant un précieux avantage au régime Assad. Pour contrecarrer l’avancée du duo de choc, la rébellion «takfiriste» – comme l’appelle le secrétaire général du parti de Dieu Hassan Nasrallah (voir page 27) – a opté pour l’activation en simultanée de toutes les lignes de front où elle s’oppose au Hezbollah et ses alliés. Au Liban, les barons militaires de la rébellion ont construit une nébuleuse protéiforme composée d’entités aussi différentes que nombreuses. Revue de l’ensemble du dispositif déployé par les deux camps.   

Bastion en territoire hostile
Mardi, en début d’après-midi, plusieurs villageois originaires de Berkayel, petite bourgade située à une dizaine de kilomètres à l’est de la ville de Minié ont, pendant quelques minutes, coupé l’autoroute reliant Halba et Kobayat. Une manifestation spontanée pour déplorer la mort, quelques heures plus tôt, de Mohammad Charafeddine, soldat de la sixième brigade de l’armée postée au barrage militaire de Wadi Hmayed, à l’entrée est de Ersal, sur la route qui mène de l’autre côté de la frontière libano-syrienne. A l’aube, un Hummer noir, suivi de deux autres voitures, se présente au barrage. Le soldat Charafeddine et ses frères d’armes, Moustafa Hayek et Ali Mounzer, sont de garde. A leur hauteur, les vitres s’ouvrent, en sortent des fusils-mitrailleurs qui tirent en rafales des deux côtés de la route. Les trois soldats meurent sur le coup. D’autres militaires tentent d’intercepter la voiture noire mais elle est déjà loin. Elle file vers la Syrie. Deux mois plus tôt, l’aspirant Zahraman et le commandant Bechaalany mouraient torturés à Ersal. L’armée y est une cible privilégiée.
Mardi, le président de la République Michel Sleiman a parlé d’une «série d’incidents terroristes et criminels visant à semer la dissension dans le pays». Comprendre, une vaste campagne est lancée sur l’ensemble du territoire en réponse à l’implication du Hezbollah dans la guerre en Syrie. Le lendemain, le chef de l’Etat, accompagné du ministre de la Défense Fayez Ghosn et du commandant en chef de l’Armée Jean Kahwaji, se rendent sur les lieux. Les premiers éléments montrent que le véhicule en question a été repéré sillonnant les rues de Ersal les cinq jours précédant l’incident. Les commanditaires? Les enquêteurs penchent pour le groupe Khaled Hmayed, une mouvance libano-syrienne armée relevant du Front al-Nosra. Le motif? Sans doute l’enlèvement à hauteur de Laboué d’un rebelle syrien blessé transporté en ambulance.
Pour les rebelles, Ersal possède l’avantage d’être un village majoritairement sunnite dans une région chiite. Base arrière côté syrien, poste avancé en territoire hostile côté libanais.  

La stratégie de la provocation
Oui, le Hezbollah est pris en grippe. Est menée contre lui une guerre tous azimuts, politique et diplomatique, militaire et communautaire. Dimanche, les avertissements émis par plusieurs personnalités se sont traduits en acte. Deux roquettes de type Grad se sont abattues autour de Chiyah, faisant quatre blessés. La première atterrit dans un parc de vendeur de voitures, près de l’église Mar Mkhayel et l’autre dans un appartement dans le quartier de Maroun Misk. Une troisième roquette a été retrouvée avant qu’elle n’explose. Les plateformes de lancement de ces roquettes ont été découvertes, quelque temps plus tard, sur les hauteurs de la vallée située entre Bsaba et Aïtat, dans le Chouf, à une dizaine de kilomètres des lieux. Les témoignages parlent d’une Toyota conduite par un ressortissant syrien, accompagné de deux Libanais. Il s’agit là d’un message du berger à la bergère, une réponse au dernier discours de Hassan Nasrallah. Aucun décès n’est à déplorer mais l’effet est assuré, le Hezbollah est vulnérable jusqu’au cœur de son territoire.
L’une des figures de proue de cette stratégie est sans doute Ahmad el-Assir. Relativement discret, depuis son escapade au mois d’avril dans la ville de Qoussair, l’imam de la mosquée Bilal Ben Rabah met ses partisans en première ligne. Dernier happening en date la semaine dernière avec un sit-in organisé à Saïda, sur la route du cimetière de Sayroub, pour empêcher l’enterrement d’un combattant sunnite du Hezbollah, Saleh Ahmad Sabbagh. Finalement, le jeune homme de 18 ans, «martyr du devoir jihadiste», sera inhumé dans le cimetière chiite de la ville. Assir expliquera plus tard que la décision de mener cette action a été «prise à partir du moment où la nouvelle de la mort d’un élément du parti de l’Iran dans les combats contre nos frères dans le village syrien de Qoussair s’est confirmée». Dans le quartier de Taamir et dans la région d’Abra, près de camps palestiniens où l’on observe un regain d’activité, de légers affrontements entre les partisans des deux camps ont éclaté. Là aussi, aucun décès n’est à déplorer mais l’effet est garanti, le Hezbollah est vulnérable et s’élever contre lui est possible.  

Tripoli, rengaine meurtrière
De la capitale du Sud au chef-lieu du Liban-Nord, où s’est installé un semblant de cessez-le-feu, terme qui désigne à Tripoli une journée ponctuée de détonations mais sans morts à déplorer. Le seizième round de violences – décompte débuté le 7 mai 2008 – entre Jabal Mohsen et Bab el-Tebbané a repoussé encore un peu plus loin la marge de manœuvre de tout ce qui se rapporte de près ou de loin à l’Etat. Ballottée au gré des marchandages politiques de quartier, l’Armée libanaise, qui a payé un lourd tribut de sang ces derniers jours, a même été, pendant quelques heures, invitée à quitter la ligne de front. La responsabilité de cette situation déroutante échoit à plusieurs niveaux.
Sont apparues de manière éclatante, durant les affrontements, des milices dirigées par des chefs de quartier. Ils sont une dizaine à sévir, aidés par des membres syriens du Front al-Nosra: le commandant de Beddaoui, Amer Arich, proche du député du Akkar Khaled Daher, celui de Baqqar dirigé par Hossam Sabbagh et très actif à Tebbané, l’un des leaders salafistes les plus en vue sur la scène tripolitaine, Chadi Maoulaoui, accusé de terrorisme et libéré sous le mandat du gouvernement Mikati. Il faut ajouter à cette liste Amid Hammoud et Kanaan Naji, figures de la «Rencontre nationale islamique». Au deuxième étage de cette nébuleuse de Tripoli, des anciens militaires et administrateurs qui ont gravité autour de partis politiques solidement installés. Au troisième étage, les députés et les cheikhs de la ville et de la région qui se rencontrent assez régulièrement. Ce sont eux qui sifflent la fin des hostilités. Animé par le député Mohammad Kabbara, il s’agit d’un système politique et sécuritaire contrôlé par ses membres, les notables de la ville, qui assument totalement cette façon de faire, seule capable selon eux, d’apaiser les tensions. Les personnes, relevant de l’Etat, dépêchées pour gérer la situation à Tripoli, sont sommées de discuter avec les chefs de bandes solidement armées par ailleurs.
Aux côtés des roquettes Grad, grenades antichars Energa et Kalachnikovs trônent désormais des snipers, des tireurs d’élite qui visent juste et loin. A l’heure de mettre sous presse, le bilan final des affrontements s’élève à 31 morts, dont trois soldats de l’armée, et 212 blessés. Les politiques et les chefs de quartier ont décidé d’une trêve qu’ils peuvent rompre à tout moment. Les alaouites, menés par Rifaat Eid, n’ont qu’à bien se tenir, voilà le message envoyé de Tripoli.
Cette stratégie de tension permanente est appelée à perdurer au minimum le temps de la bataille de Qoussair, possiblement jusqu’aux prochaines batailles de Homs ou d’Alep, décisives pour l’issue du conflit. Le Hezbollah s’est préparé à l’éventualité d’un long combat, ses farouches adversaires aussi, prêts à engager l’escalade. S’exprimant mardi, le chef d’état-major de l’Armée syrienne libre (ASL), Salim Idriss, qui a rencontré ces derniers jours une délégation des commandants de quartier tripolitains, a averti que si le Hezbollah n’arrêtait pas dans les 24 heures son «agression» en Syrie, les forces insurgées le pourchasseraient «même en enfer». Il s’adressait là au président Sleiman, au secrétaire général de la Ligue arabe, Nabil el-Arabi, et au secrétaire général de l’Onu, Ban Ki-Moon.
Par la voix de Mohammad el-Chalabi, le Front al-Nosra a annoncé, depuis la Jordanie, avoir placé la confrontation avec le Hezbollah en Syrie en tête de ses priorités. Les prochaines semaines s’annoncent cruciales.

Julien Abi Ramia
 

Bataille de roquettes
En parallèle des affrontements de Tripoli, le Hermel vit à nouveau dans la crainte de tirs de roquettes.
Dimanche, deux roquettes en provenance des territoires syriens ont visé des quartiers résidentiels au centre du Hermel, causant seulement des dégâts matériels. Lundi, ce sont quatre roquettes qui ont été lancées. Le bilan est plus lourd, une jeune fille de 17 ans a été tuée et deux autres personnes ont été blessées. Mardi, cinq autres roquettes, qui ont visé deux habitations et trois plantations, ont fait plusieurs blessés légers. A vol d’oiseau, la localité de Hermel se situe à une trentaine de kilomètres de Qoussair. Toujours près de Qoussair, mercredi à l’aube, trois roquettes se sont abattues près du village d’al-Sawb et sur une maison à Qnay dans la région d’Akroum, à l’extrême nord-est du Akkar.

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