Le chef du parti Kataëb, Samy Gemayel, a été au bout de sa colère. Jusqu’à la dernière minute, certains pensaient qu’il ne retirerait pas ses ministres du cabinet. Mais finalement, il a choisi de protester d’une façon forte et claire contre la gestion du gouvernement des dossiers sociaux.
C’est en particulier l’affaire des déchets qui a fait déborder le vase pour le chef des Kataëb et ses deux ministres, Alain Hakim (Economie) et Sejaan Azzi (Travail), le ministre de l’Information Ramzi Joreige s’étant désolidarisé du groupe en rappelant qu’il est sympathisant du parti, non membre. Gemayel avait tiré la sonnette d’alarme depuis quelque temps déjà, en considérant que le gouvernement a fait preuve d’une certaine légèreté et d’une grande impuissance dans la gestion du dossier des déchets jusqu’au clou final qui a, en quelque sorte, transposé la décharge de Naamé à Bourj Hammoud. Pour Samy Gemayel, cette soudaine transformation de Bourj Hammoud en principale décharge n’était pas prévue dans le plan initial, puisqu’elle devait se partager ce rôle avec celle du Costa Brava sur le littoral de Khaldé. Mais cette dernière étant située à proximité de l’aéroport, il a été décidé de se rabattre sur Bourj Hammoud, dans un contrat qui, selon les Kataëb, manque de transparence. Certains affirment que ce qui a augmenté encore la colère des Kataëb, c’est qu’ils ont senti une sorte d’accord discret entre les ministres chargés de ce dossier et le Tachnag, écartant ainsi les autres composantes politiques influentes dans le Metn. Il faut rappeler à cet égard que lorsque cette question avait été évoquée pour la première fois en Conseil des ministres, les ministres du Courant patriotique libre (CPL) avaient protesté et exigé l’enregistrement de leur opposition, alors que ceux des Kataëb s’étaient contentés de se retirer de la réunion. Selon des sources de ce parti, ils avaient en réalité voulu donner une chance aux négociations et à un traitement en douceur. Mais finalement, l’adjudication a été attribuée dans une opacité totale, puisque même le nom de l’entrepreneur n’a pas été révélé.
Affairisme, corruption
Samy Gemayel a donc annoncé, dans une conférence de presse mardi soir, la démission des deux ministres du parti, en guise de protestation à la gestion du pouvoir et à l’état d’effritement dans lequel se trouve ce gouvernement miné par les dissensions, la mentalité affairiste et la corruption. L’annonce est certes courageuse et elle se fait l’écho d’un dégoût populaire à l’égard du pouvoir et de la classe politique en général. Quelles vont toutefois en être les conséquences? C’est la question cruciale à laquelle la réponse n’est pas claire. Ce qui est sûr, à ce stade, c’est que le départ des deux ministres Kataëb affaiblit encore plus un gouvernement qui est en train de perdre la confiance des citoyens. Il ajoute une nouvelle dose d’effritement à un pouvoir déjà mis à mal par son incapacité à trouver des solutions à tous les problèmes, des nominations, aux plans de construction de barrages, en passant par les salaires, les déchets, l’électricité, etc. Mais cette double démission ne met pas en cause l’existence même du gouvernement. Il s’agit, en effet, du départ de deux ministres Kataëb, non celui des ministres chrétiens, ni même d’un camp politique déterminé. Ce qui aurait remis en question le principe de la représentativité des principales composantes politiques sur lequel est basé le gouvernement. Tout en étant un coup porté à la crédibilité de l’Exécutif, la démission des deux ministres Kataëb n’est donc pas suffisante pour entraîner sa chute. Et en l’absence d’un président de la République pour accepter ou rejeter les démissions, celles-ci resteront en suspens (il faut l’approbation des vingt-quatre ministres, dont ceux qui ont démissionné pour qu’elles soient acceptées) et les ministres démissionnaires continueront à gérer les affaires courantes. Le changement est qu’en principe, ils n’assisteront plus aux réunions du gouvernement. Ce qui ne peut qu’augmenter la paralysie de celui-ci au moment où les autres institutions sont aussi bloquées. Les citoyens sont les premières victimes de cette paralysie, ainsi que l’image du pouvoir et de l’Etat au Liban.
Le précédent Achraf Rifi
La démission des ministres Kataëb n’est pas sans rappeler celle du ministre de la Justice Achraf Rifi en guise de protestation au jugement du tribunal militaire sur l’affaire Samaha. Rifi avait annoncé sa démission en estimant que les autres ministres de son camp politique n’avaient pas été assez fermes dans leur refus de ce jugement, qui a d’ailleurs été modifié par celui de la Cour de cassation militaire. Mais dans les faits, Rifi a continué à avoir la haute main sur les décisions de son ministère, signant le courrier à partir de son domicile et allant même jusqu’à se rendre à son bureau il y a quelques jours. Quel est aujourd’hui son statut? Nul ne saurait le dire.
Joëlle Seif