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Nº 3059 du vendredi 24 juin 2016

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Livre

La fée des maamouls de Jean-François Chabas. Ou comment retrouver l’émerveillement de l’enfance

Publié aux éditions Magnard Jeunesse, La fée des maamouls de Jean-François Chabas se déguste comme un maamoul, bien réussi, épicé de plaisir et d’émerveillement.

Il y a une forte odeur de magie qui se dégage du livre, La fée des maamouls, le titre s’y prête évidemment, d’emblée, mais cela va au-delà. Cette magie s’ancre dans chaque mot, dans chaque phrase, dans chaque paragraphe emportant le lecteur en une cascade de tableaux aux couleurs chatoyantes et extravagantes. De l’extravagance, il en faut, pour correspondre au monde merveilleux des enfants; ce monde où tout est possible et que nous, adultes, avons perdu, notre capacité d’émerveillement se rétrécissant avec le temps comme peau de chagrin.
La fée des maamouls parvient à nous la restituer, à éveiller le sourire sur nos lèvres, à faire en sorte qu’il s’y attarde et se renforce, à chaque page effeuillée, et bien après le moment où le livre se referme. Pour le lecteur libanais, l’émerveillement est double; il a le goût du pays, ses maamouls, sa culture, sa langue, ses habitudes, son parler même. Non pas que le Libanais s’en enorgueillit, comme il se doit souvent de le faire, mais parce qu’ils sont si finement tissés à l’ensemble, si bien assimilés par l’auteur. Pour le lecteur français, un «petit glossaire de libanais parlé» est disponible à la fin du livre, pour comprendre ces mots et expressions qu’on s’échange communément, comme un tic de paroles, les akid, yaané, khalass, na3iman, leich, kif… Et pour compléter cette «libanité», les illustrations sont signées Zeina Abirached.

 

Bienvenue dans la féerie du XXIe siècle
Le livre tourne autour de Razane, une fillette franco-libanaise de 12 ans qui vit à Paris avec sa maman, Joumana Touma, une femme forte, originaire de Zahlé, architecte accaparée par sa propre société de construction; «Ce n’est pas qu’elle soit intimidante, non. ‘Terrifiante’ serait le mot juste», dit sa fille. Razane, à l’image de sa mère, a un tempérament de tigresse. Ce jour-là, Téta Lamia, sa grand-mère maternelle venue les voir à Paris, cherche ses moules à maamouls. «(S’ils) s’étaient trouvés sur leur étagère, dans la cuisine, Téta Lamia les aurait utilisés et il ne se serait rien passé d’extraordinaire. Mais le destin a frappé».
Razane, seule à la maison, prépare une fournée de ces succulentes pâtisseries, «peu connues en France, mais adorées par les Libanais». Et de faire une entorse à la sacro-sainte recette familiale: réduire le temps de repos de la pâte en soufflant dessus. Véritable coup de génie: la fée des maamouls, Nissou, apparaît en pleine cuisine parisienne…
Oui, une fée, une véritable fée, petite, minuscule, ailée comme un moustique, espiègle et maligne, capable de transformer un chat en mangue, d’«embuler» une rue entière bondée de gens, d’accorder mille et un souhaits, sous conditions bien sûr; ses pouvoirs sont grands, très grands, «au Liban on ne voit pas petit».
Tout ce petit monde, né de l’imaginaire fertile de Chabas, nous entraîne dans un monde féerique, qui a toutefois les pieds bien ancrés dans la terre, dans le XXIe siècle, la modernité de la langue, du mode de vie, de pensée, des jeunes notamment. Chabas se glisse en toute justesse dans la tête et l’esprit de Razane pour mettre au jour ses réflexions et ses envies, son attitude et ses calculs, et ceux de son petit ami Poséidon. Et s’il y a un message à porter à la jeunesse, il se fracasse contre une fin abrupte, un peu bâclée peut-être. Mais qui n’enlève rien au plaisir de la lecture, puisque le lecteur est à la fois un électeur qui choisit les souvenirs qu’il se tisse.

Nayla Rached

Extrait
«J’ai soudain éprouvé des remords vis-à-vis de Téta que j’avais vexée. Elle était sûrement en train d’errer dans les rues d’une ville qui l’intimidait et qu’elle connaissait mal, parce que sa petite-fille avait été insolente. A chaque personne qui mendiait dans le métro ou sur le trottoir, elle donnait un euro en chuchotant des bénédictions, si bien qu’elle finissait ses journées à Paris avec un porte-monnaie vide. Elle était bizarre, mais gentille. Poséidon me disait souvent que moi, j’étais méchante. (…) Je voulais aussi – c’était secret, je ne l’aurais révélé à personne sur Terre – imiter ma mère, que je trouvais si impressionnante en grande prêtresse du béton coulé. Je me rappellerai toujours un vigile des Galeries Lafayette qui voulait fouiller ses affaires. Oh, je n’ai pas en mémoire la phrase exacte qu’elle lui a lancée – quelque chose à propos des hommes et du sac à main des femmes –, mais je me souviens que le malheureux a fondu de terreur, comme un King Kone sur une plage de Beyrouth un mois d’août».

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