Dix années se sont écoulées depuis cette tristement célèbre invasion du Liban par les Israéliens, un 12 juillet 2006, provoquée par la capture de leurs soldats par le Hezbollah. Le pays ne s’en est jamais vraiment remis. Les souvenirs de guerre ont la dent dure.
Aujourd’hui, la crise libanaise, si elle n’est pas guerrière, bat tous les records. C’est un pays décapité, privé de ses institutions ou, en tout cas, de leur efficacité. On ne le répètera jamais assez. Un pays en manque de responsables capables de gérer le quotidien des citoyens, un Etat qui se dégrade au fil des ans, et celui d’un peuple, avide d’un simple confort, qui n’a plus que la modeste envie d’une vie meilleure sous le parapluie d’un Etat qui fasse honneur à son titre. Un peuple qui ne vit que d’espoirs nourris de désinformations distillées par des milieux politiques incompétents et reprises par certains médias, parfois crédules.
Il suffit d’un hasard, d’une rencontre imprévue de deux rivaux politiques, briguant le même poste, pour qu’un «fragile» regain de confiance se reflète dans les médias. Une entente furtive entre deux personnalités, une réconciliation basée sur des intérêts communs, alimentent les conversations dans les salons politiques.
Les nouvelles du dernier week-end annonçaient la visite au Liban du ministre français des Affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, et son programme «particulièrement chargé pour une visite en coup de vent, ou presque». Comble d’optimisme fastidieux dans les milieux politiques, la coïncidence de l’arrivée à Beyrouth de la nouvelle locataire de l’ambassade des Etats-Unis, au moment où le ministre français débarque à la Résidence des Pins, est qualifiée d’événement positif. Ces deux nouvelles, rapportées aux heures de grande audience sur toutes les chaînes et fréquences radio en parallèle, laissaient imaginer l’importance exceptionnelle de cet événement et, peut-être même, la mise d’un terme au drame que vit le Liban, pays hôte de ces faiseurs de l’histoire. La réalité était tout autre. Le chef du Quai d’Orsay a vite fait de casser une certaine euphorie en affirmant qu’il ne pouvait que «souhaiter» un déblocage de la crise libanaise. En bref, qu’il n’avait rien d’autre à offrir que des vœux pieux. Le diplomate chevronné, ancien Premier ministre du gouvernement de François Hollande, s’est vite empressé de mettre les choses au clair, avant même d’avoir mis pied à terre, en reconnaissant, en quelques mots, qu’il ne pouvait que «tenter de faciliter le dialogue». Le déblocage ne pouvait se réaliser en quarante-huit heures, durée de son séjour. Tout en reconnaissant la bonne volonté, ou la volonté tout court, des émissaires en visite au Liban, cela ne peut suffire dans les conditions politiques que vit le pays depuis bientôt trois ans.
Des politiciens, assourdis par leurs intérêts individuels, ne veulent plus, ou ne peuvent plus, entendre les «amis» du Liban affirmer que leurs visites sur la terre libanaise ne pouvaient être que des preuves d’amitié. La caste politique est partagée en deux fractions, celle qui critique l’action actuelle et passée de leurs compères mais ne fait rien; et celle qui distribue des conseils à la volée à ceux qui sont en place ou qui leur succèderont. Cette conjoncture politique n’est pas récente.
En 1949 déjà, Georges Naccache dénonçait «les trafics et les brigandages qui caractérisent le régime et sont la ruine d’une autorité qu’on n’accepte plus de subir qu’à la condition qu’elle sache être vacante et mettre en vacances avec elle les gendarmes et les tribunaux». Une déclaration qui trouve aujourd’hui son écho dans toute son actualité. Cette dénonciation avait valu la prison à son auteur, auquel on doit également la fameuse formule qui ne s’est jamais vidée de son sens: «Deux négations ne font pas une nation».
Que dire alors d’un pays où quelque dix-huit communautés, vivant ensemble, se sont divisées au fil des ans en autant d’affinités religieuses et d’alliances étrangères aux politiques et intérêts contradictoires? Comment concilier l’Iran et l’Arabie saoudite? Deux puissances du Moyen-Orient qui se disputent leur influence dans la région? Comment bâtir une nation qui rassemblerait tous les citoyens du Liban au sein d’une même nation qui reste à rebâtir?
Mouna Béchara