Le président de la Chambre, qui est à l’origine de la tentative d’aboutir à un accord global à travers les réunions du dialogue national, a estimé que leurs chances de réussite vont de 0 à 100. L’absence de déclaration montre que les protagonistes prennent cette initiative au sérieux. Mais de là à croire à la conclusion imminente d’un accord, il y a un grand pas… que peu osent franchir.
Moitié plaisantant moitié sérieux, un participant au dialogue a affirmé, à la veille du début des réunions, que le Liban est régi par cinq principes qui ressemblent à des commandements: d’abord, le gouvernement n’a pas le droit de démissionner, ensuite le Parlement ne se réunit que pour les questions urgentes ou pour adopter des projets réclamés par les Etats-Unis. Troisième commandement, l’armée est une ligne rouge. Quatrième commandement: la stabilité doit être préservée et, enfin, dernier commandement: pas d’élection présidentielle tant que le général Michel Aoun est dans la course!
En disant cela, même comme une boutade, ce participant aux réunions du dialogue résume le vent de pessimisme qui reste prédominant à Aïn el-Tiné. Le président de la Chambre, Nabih Berry, a fixé l’équation: soit un accord sur la présidence et le gouvernement, soit l’adoption de la proportionnelle comme base du futur projet de loi électorale. Sinon, le pays ira à vau-l’eau et les prochaines élections législatives ne pourraient se tenir que sur la base de la loi actuelle. Cette menace a-t-elle suffi à pousser les différents protagonistes à s’entendre sur un package global, dans le genre de l’accord de Doha qui avait mis fin à la vacance présidentielle et réglé le contentieux qui avait suivi le fameux 7 mai 2008?
Une équation claire
Les observateurs politiques estiment que l’équation est devenue plus claire que jamais: le Hezbollah ne peut pas faire élire le général Aoun à la présidence sans l’accord du Courant du futur et ce dernier ne peut pas faire élire son candidat Sleiman Frangié sans l’accord de Aoun et du Hezbollah. C’est donc là que réside le vrai problème et toutes les tentatives d’aboutir à un accord tournent autour de la possibilité de pousser un des deux camps à faire des concessions. Du côté du Hezbollah, un appât de taille a été offert au Courant du futur en faisant miroiter à Saad Hariri la possibilité de revenir au Sérail s’il accepte d’élire Aoun à Baabda. L’ancien ministre Wiam Wahhab, connu pour son franc-parler, a même déclaré que le Hezbollah a chargé Aoun de mener cette négociation avec le chef du Courant du futur. En principe, il s’agissait d’une offre suffisamment alléchante pour provoquer un déblocage dans l’impasse présidentielle, sachant que Saad Hariri ne traverse pas seulement une grande crise financière, mais de plus, son leadership au sein de la rue sunnite est en train d’être érodé par la montée de plusieurs courants au sein du sien. La proposition a d’ailleurs fait son chemin au sein du Courant du futur et il y a eu des débats internes qui donnaient l’avantage à ceux qui étaient en faveur de l’acceptation de cette offre. Mais c’est sur ces entrefaites que les dirigeants saoudiens ont convié Saad Hariri à se rendre en Arabie pour participer à l’iftar donné par le roi Salmane pour marquer la fin du mois de jeûne.
Dans le cadre de ses rencontres avec les dirigeants saoudiens, des promesses ont été faites à Hariri de régler une partie de ses problèmes financiers. Cette initiative a été perçue par certains membres du Courant du futur comme une volonté de la part des Saoudiens d’empêcher Hariri de conclure un deal avec Aoun et le Hezbollah. Aucune confirmation officielle saoudienne n’est venue étayer cette interprétation, mais des informations sur un règlement financier de la crise de Saudi Oger ont circulé ces deux derniers jours.
Des sources proches des Forces libanaises ajoutent à cet égard que Samir Geagea a longuement plaidé la cause de Aoun à la présidence et pour la première fois, il a perçu un climat positif chez Hariri.
Des conditions du Hezbollah
Toutefois, c’est sur ces entrefaites et à la veille du début des réunions du dialogue, que Nabih Berry a reçu à Aïn el-Tiné le chef du courant des Marada, Sleiman Frangié. A l’issue de cet entretien, ce dernier a déclaré qu’il reste candidat tant qu’il bénéfice de l’appui d’un député (en dehors de son propre bloc). Cette visite et la déclaration de Frangié ont été considérées par les proches de Aoun comme une tentative de la part de Berry de torpiller l’accord en gestation entre le Courant patriotique libre (CPL), le Hezbollah et le Courant du futur. Les sources proches de Berry ont eu beau déclarer que le rendez-vous avait été pris à l’avance et il a été reporté en raison du voyage du président de la Chambre à l’étranger et Frangié a précisé sa pensée en répétant que s’il y a un accord général sur un candidat, Aoun par exemple, il serait prêt à se retirer. Malgré cela, le malaise des aounistes a persisté et c’est donc dans une atmosphère plutôt confuse que les débats se sont déroulés.
En principe, les discussions se font désormais en toute franchise, puisqu’avec les positions des uns et des autres, les lignes de clivage sont claires. Mais selon des sources bien informées, il y aurait en réalité des enjeux cachés. L’un d’eux serait qu’en dépit des rumeurs qui circulent dans les médias, le Hezbollah ne serait pas très chaud pour le retour de Saad Hariri au Sérail, même si Michel Aoun est élu à la présidence. Jusqu’à présent, le Hezbollah ne dit rien de tel, jetant la balle dans le camp du «général», mais il aurait des conditions pour accepter le retour de Saad Hariri à la présidence du Conseil. Après tout ce qui s’est passé et la campagne systématique menée à la fois localement, régionalement et internationalement contre le Hezbollah par les alliés, voire les «parrains» de Saad Hariri, le Hezbollah ne peut pas se montrer coulant. Ce parti se sent en effet visé par une campagne sans précédent et sa seule carte politique pour contrer ce tollé contre lui est celle de la présidence du Conseil. Même s’il a une grande confiance dans le général Aoun, le Hezbollah exigerait d’importantes contreparties moyennant l’acceptation du retour de Hariri à la présidence du Conseil. De même, Hariri n’a pas encore dit qu’il accepte d’élire Aoun à la présidence, mais même s’il devait le faire, il exige, lui aussi, des garanties, comme son maintien à la tête du gouvernement pour les six prochaines années.
Entre conditions et contre-conditions, le dialogue risque de s’enliser dans les sables mouvants des intérêts particuliers… en attendant un signe qui viendrait de l’extérieur. Contrairement aux efforts de Berry pour «libaniser» l’échéance présidentielle, celle-ci apparaît plus que jamais liée aux développements régionaux.
Joëlle Seif
La décentralisation administrative
Officiellement, les thèmes retenus pour les séances du dialogue national étaient la présidence, avec son corollaire la formation du futur gouvernement et le projet de loi électorale. Mais à la dernière minute, le président de la Chambre a ajouté la décentralisation administrative aux sujets à débattre. Selon certaines sources, Nabih Berry aurait pris cette décision, d’une part, pour répondre aux demandes des parties chrétiennes, notamment les Kataëb et les aounistes et, d’autre part, parce qu’il pourrait s’agir d’un sujet susceptible d’obtenir l’accord de toutes les parties. Comme cela, les participants au dialogue pourraient se vanter de s’être mis d’accord sur un point précis.