Le dimanche 31 juillet, le Festival international de Byblos accueillait une production entièrement libanaise, l’Opéra Hishik Bishik, dont les échos se font toujours entendre.
Il y a ceux qui connaissent le Hishik Bishik Show et ceux qui ne le connaissent pas. Il y a ceux qui ont fait le déplacement jusqu’à Byblos pour le (re)voir dans une version différente, plus ample, plus intense, à l’air libre et surtout accompagné d’un immense orchestre, devenu l’Opéra Hishik Bishik, et ceux qui sont venus le découvrir, plonger au cœur de ce spectacle 100% libanais dont tout Beyrouth parle, le sourire aux lèvres et les traits baignés dans un bien-être contagieux. Mais, et c’est parfois comme une évidence de le dire, certaines choses devraient, ou plutôt gagneraient, à rester dans leur propre contexte. Parce qu’entre les deux, il y a un élément qui tend à disparaître, une magie qui s’effiloche, quand les détails d’un tel spectacle ne fusionnent pas.
Lancé il y a plus de trois ans par Hicham Jaber au cœur de Metro al-Madina, le Hishik Bishik s’est exporté, extra-muros, le temps d’une nuit, qu’on aurait vivement souhaité magique, sur le port de Byblos, au cœur de son festival international. A cette occasion, le spectacle a été reconçu dans une version survitaminée en musique, à travers la présence d’un orchestre de plus de 50 musiciens, dirigé par Lubnan Baalbaki. Installé dans une pénombre presque totale, l’orchestre occupe la partie inférieure de la scène, comme une barrière infranchissable. Et dans la partie supérieure, le décor du Metro est repris presque à l’identique, avec ses deux «fenêtres» ouvertes, tendues d’un lourd rideau rouge. Un cabaret quelque part en Egypte, au Caire, dans une époque révolue, au détour du début du siècle passé, l’âge d’or des cabarets égyptiens, quand la musique populaire préservait son essence. Un cabaret, un bar, une «m3alléma», un «bartender», une danseuse, de l’alcool et de la cocaïne… Un intérieur confiné dans l’euphorie du moment où blagues et piques fusent dans l’air embué, accrochant les froufrous et scintillements des costumes. De l’autre côté, l’extérieur, et une impression d’amour impossible. Les tableaux s’enclenchent en chansons, en mouvements, acteurs, chanteurs et musiciens tout à la fois, tous ensemble. Sur scène, Ziad el-Ahmadié, Yasmina Fayed, Lina Sahab, Roy Dib, Wissam Dalati, Samah Abi el-Mona, Ziad Jaafar, Bahaa Daou et Randa Makhoul. Chassé-croisé, instruments, voix et corps entrent en branle, même si par moments, pour certains, la voix tonne comme dans un cri aigu qui semble avoir perdu de son authenticité, se forçant à entrer dans la peau du personnage.
Au fil du spectacle, les souvenirs remontent à la surface, différents. Une tentative de faire «table rase» de ce qui a été vu auparavant, pour pouvoir voir autrement, voir pour la première fois, apprécier le moment. Deux heures environ pour un entracte de vingt minutes; certains des spectateurs, venus nombreux ce soir, pour mille et une raisons, n’ont pas attendu la fin du spectacle, que les tableaux s’égaient davantage, que la présence de l’orchestre acquiert toute sa justification, que la synergie passe entre la scène et le public.
Ce qui passe, allègrement et chaleureusement, dans l’espace intime du Metro al-Madina, ne peut passer de la même manière, dans un contexte tellement plus vaste, plus ouvert et plus libre que celui du Festival international de Byblos. A qui revient la faute? Parce qu’il y a eu, effectivement, une faute quelque part, peut-être plus justement un défi non relevé. Est-ce une très grande confiance de la part de l’équipe du Hishik Bishik qui se refusait à voir les défauts éventuels d’une telle exportation? Est-ce le comité du festival qui s’est lancé dans cette aventure sans filet? Est-ce le public qui n’a pas «correctement» réagi au spectacle, ses attentes dépassant de loin le résultat final?
Il y avait comme un goût d’inachevé, comme un rendez-vous raté, peut-être appelé à se reproduire, ailleurs, dans un autre lieu, dans un autre temps; une autre fois peut-être, on sera tous au même rendez-vous.
Nayla Rached