Magazine Le Mensuel

Nº 3067 du vendredi 19 août 2016

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Consommation. Manger bio au Liban ça veut dire quoi?

Scandales sanitaires en série, tendance mondiale au bien-être, le besoin de bien manger se fait de plus en plus pressant au Liban, alimentant ainsi l’industrie du bio. Oui mais voilà, manger bio c’est quoi exactement? Est-ce la garantie de bien manger? Faut-il nécessairement manger bio pour bien manger? Magazine fait le point.

Scandale des pesticides, du blé contaminé, viande avariée et encore crise des déchets, dans un pays comme le Liban, où la situation sanitaire n’en finit plus de faire douter, le secteur du bio séduit de plus en plus une partie de la population qui exige de savoir ce qu’elle mange quitte à payer le prix fort.
Dans les rayons des supermarchés, les marques l’ont bien compris, surfant ainsi sur cette tendance au bien-être. Produits du terroir, «baladi», naturels et bios peuvent ainsi perdre le consommateur qui ne sait plus où donner de la tête. Alors manger bio c’est quoi exactement?
Pour Sabine Kassouf de l’enseigne spécialisée New Earth, «manger bio c’est, en réalité, simplement manger exactement ce que nos ancêtres ont toujours consommé: des produits sans pesticides, sans additifs, sans colorants ni exhausteurs de goût, hormones de synthèse ou antibiotiques».
Selon elle, il est aujourd’hui nécessaire de labelliser ces produits pour la seule et bonne raison qu’ils sont devenus plus rares que les aliments transformés industriellement.
 

Rien de nouveau
«Dans les années 40, après la Seconde Guerre mondiale, les grandes industries ont changé notre façon de manger, poursuit Sabine Kassouf. Cela fait donc moins de 100 ans que notre corps est nourri de produits chimiques qui ne ressemblent plus du tout aux aliments issus de la nature. Pour moi, le bio, c’est surtout simplement un retour aux sources».
Le label «biologique» est ainsi la garantie de manger des produits contrôlés par le seul organisme de certification du pays depuis 2013: l’Institut méditerranéen de certification (IMC).
Son rôle est d’inspecter les espaces agricoles, d’y effectuer des tests de manière régulière et d’attribuer la certification en phase avec les standards de l’Union européenne.
Lama Bahsoun, cofondatrice de la marque Biopret, explique la différence entre les produits certifiés bios, ceux dits naturels et «baladi». «Pour les produits certifiés biologiques, la réglementation est très stricte notamment sur l’interdiction de l’utilisation d’antibiotiques, d’hormones et d’OGM, explique l’entrepreneuse. L’eau doit être parfaitement pure et l’air ne doit pas être pollué. Le producteur doit s’assurer que les terres voisines sont, elles aussi, ‘‘biologiques’’ pour éviter la contamination de l’eau et de la terre».
Pour la professionnelle, les produits «baladi» et naturels restent meilleurs que les conventionnels, mais le bio se positionne comme étant le plus sûr.
«Lorsqu’on dit qu’un produit est ‘‘baladi’’, cela ne veut pas obligatoirement dire qu’il n’y a pas eu d’utilisation de pesticides», précise Lama Bahsoun. Les produits ‘‘baladi’’ sont les produits du terroir. Ce qui est intéressant dans ce concept, c’est la relation directe avec l’agriculteur. Les consommateurs cherchent, de plus en plus, des produits locaux frais et de saison. C’est une tendance qui s’inscrit dans un nouveau mouvement appelé locavore. Quant aux produits naturels, ils restent bien meilleurs que ceux du conventionnel, mais il faut s’assurer de la manière avec laquelle ils sont cultivés».
Mario Massoud, directeur exécutif à Biomass, ajoute que manger bio n’est pas seulement meilleur pour la santé, mais aussi pour l’environnement. «Les producteurs doivent appliquer des méthodes strictes de production, de recyclage des matières premières et de respect des animaux», souligne-t-il.

 

Les méfaits de l’importation
La question se pose alors de savoir s’il faut nécessairement manger bio pour bien manger et à l’inverse manger bio est-ce la garantie de consommer les meilleurs produits?
«Au Liban, l’importation de produits bios peut parfois nécessiter beaucoup de temps et donc perdre leurs propriétés énergétiques et écologiques, souligne Jihane Chahla, ingénieur agronome et responsable qualité chez Souk el-Tayyeb. Ce n’est ainsi pas toujours la bonne option. Il faut vérifier la traçabilité des produits même s’ils sont bios».
Depuis 2004, Souk el-Tayyeb est un marché qui rassemble une centaine de producteurs locaux venus de tout le Liban. «Ils ne sont pas tous certifiés bios, mais tous proposent des produits frais et de saison et c’est ce qui compte», selon Jihane Chahla.
Lors de sa création, le marché se voulait le premier bio du pays puis, rapidement, il a évolué en un marché mêlant des productions certifiées biologiques (à 20%) à des productions locales conventionnelles, mais tout de même de qualité.
«L’idée de ce marché est de réduire les intermédiaires et de mettre en relation directe les producteurs et les consommateurs, précise Jihane Chahla. Nous constituons une plateforme de sensibilisation à l’agriculture biologique et encourageons les producteurs conventionnels à passer à l’étape du bio».
Pour Sabine Kassouf, «si on ne peut pas se permettre de manger bio, il est nécessaire de ne pas consommer de produits transformés ou raffinés tels que le sucre blanc et les farines blanches».
Mais manger bio n’est pas suffisant pour bien manger: «Manger des produits bios qui contiennent beaucoup de sucre ou de sel reste mauvais pour la santé, rappelle Lama Bahsoun et ce, même si le sucre et le sel sont issus de l’agriculture biologique. «A Biopret, nous encourageons la consommation de produits frais, naturels et biologiques, mais surtout le bien manger».

Soraya Hamdan
 

500 à 800 producteurs bios au Liban
Au Liban, la question de la culture «bio» soulève de nombreuses questions. Les années de guerre, d’engrais chimiques utilisés sans aucune surveillance, de pollution de l’eau et de l’air entament la confiance du consommateur et peuvent soulever plusieurs interrogations.
«La crise des ordures n’a fait qu’aggraver les choses, explique Sabine Kassouf. Les premiers agriculteurs bios ont commencé à travailler au Liban dans les années 90, en grande partie grâce à des fonds de l’Usaid. Après la guerre de 2006, les fonds consacrés au bio ont diminué, voire ont disparu, mais quelques irréductibles ont continué. Aujourd’hui, on en compte environ 500 à 800 producteurs bios qui font le travail comme il faut. Nous n’avons pas de culture 100% bio au Liban, mais je pourrais dire de même de l’Europe ou des USA. La pollution environnementale est partout, et à part si vous vivez sur une île déserte au beau milieu de l’océan, vous aurez des résidus de pesticides dans vos produits bios. Y en a-t-il plus au Liban? Probablement, mais la comparaison entre le produit bio et le non bio est toujours très importante».
Les agriculteurs conventionnels utilisent, pour la plupart, des pesticides non autorisés en quantités beaucoup plus importantes qu’ils ne devraient.

45 pesticides cancérigènes
Au Liban, les scandales à répétition participent à renforcer l’éveil du consommateur quant à son alimentation. Le dernier scandale en date est celui des 45 pesticides cancérigènes annoncés par les ministres de la Santé, Waël Abou Faour, et de l’Agriculture, Akram Chéhayeb, après examen des pesticides utilisés au Liban le mois dernier. L’entrée des pesticides jugés mauvais sera, selon les ministres, interdite en plusieurs étapes. «Il y a au Liban 250 personnes atteintes de cancer pour chaque dix mille habitants, sachant que le taux le plus élevé dans les autres pays arabes ne dépasse pas les 185», avait souligné le ministre Abou Faour.

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