En juillet dernier, l’agence de notation internationale Fitch a dégradé la note du Liban à long terme, la faisant passer de «B» à «B-». Que signifie cette baisse? Quelles sont les conséquences sur l’économie? Explications avec Charbel Cordahi, économiste et spécialiste des questions financières.
Désormais, pour les trois agences de notation internationales que sont Moody’s, Standard’s & Poor’s et Fitch, l’investissement dans les titres de dette souveraine libanaise (en devises et en livres libanaises) est considéré «très spéculatif». Le 14 juillet dernier, Fitch a dégradé la note de défaut émetteur du Liban de «B» à «B-» pour les titres de dette souveraine. Pour l’économiste Charbel Cordahi, «si Fitch dégrade encore une fois la notation de la dette souveraine libanaise, celle-ci passera en catégorie (C), c’est-à-dire dans la catégorie où le risque d’insolvabilité est élevé».
La notation à long terme estime la capacité du débiteur à remplir ses obligations. Fitch, tout comme les autres agences de notation, répartit en trois grandes classes l’état de solvabilité financière des emprunteurs (Etats, entreprises, etc.). En haut de l’échelle, figurent les notations «A» de «qualité» (première, haute ou moyenne supérieure), ensuite les notations «B» de qualité «moyenne» (moyenne inférieure, spéculatif et très spéculatif) et, enfin, les notations «C» de risque «élevé» avec possibilité de défaut. En dégradant la note de défaut émetteur à long terme du Liban de «B» à «B-», Fitch «déplace» la dette souveraine libanaise de la catégorie de risque «très spéculatif moyen» au risque «très spéculatif supérieur».
La crise syrienne
«La dégradation de la note souveraine par Fitch reflète les retombées de l’impasse politique, l’impact de la crise syrienne, la faiblesse des finances publiques et l’état général de l’économie, précise Cordahi. La crise syrienne exerce de plus en plus un impact négatif sur les finances publiques et menace, de façon croissante, la solvabilité de l’Etat».
La dette publique libanaise, estimée à 136,7% du PIB en 2015, est la 3e plus élevée parmi les dettes souveraines évaluées par Fitch. De son côté, le déficit public n’en finit plus de se creuser, atteignant les 1,44 milliard de dollars à la fin du premier trimestre de 2016, soit en hausse de 35,7% par rapport à la même période de l’an passé.
Dans ce contexte, quelles sont les conséquences de cette dégradation de la note à long terme sur l’économie libanaise? «Du point de vue théorique, l’Etat libanais pourrait voir sa ‘‘prime de risque-pays’’ augmenter, répond l’économiste. Si cela se produisait, nous assisterons à une hausse du taux d’intérêt sur les nouvelles émissions de dette publique. En plus de la dimension financière (en termes de solvabilité et de capacité de remboursement du Liban), la dégradation de la notation souveraine réduit la notation des entreprises locales qui dépendent d’un financement de l’extérieur. Les sociétés d’assurance-crédit pourraient aussi hausser les primes de couverture du risque pour les importateurs libanais qui dépendent d’un tel mode de financement».
Selon Fitch, malgré les effets positifs de la baisse des prix du pétrole sur les dépenses, d’importants déficits budgétaires structurels demeurent et risquent bien de continuer à se creuser en raison de l’absence de réformes fiscales au Liban. Un niveau élevé de dépenses, couplé à une croissance économique en berne, risque de continuer à creuser la dette publique sur la période 2016-2018, prévoit l’agence.
«La dégradation de la notation souveraine met la lumière sur les risques politiques croissants et sur le poids exorbitant de la crise syrienne en termes de dégradation des comptes publics et d’épuisement des infrastructures», conclut l’économiste.
Soraya Hamdan
La dette à 71,5 milliards $
La dette publique libanaise a atteint 71,5 milliards de dollars à la fin du mois de mai 2016, ce qui constitue une augmentation de 1,6% comparé aux 70,3 milliards de dollars enregistrés à la fin de la même période de 2015 et une hausse de 3% par rapport à 2014. La dette interne s’est établie à 42,5 milliards de dollars à la fin du mois de mai dernier, tandis que la dette externe demeure, elle, à 29 milliards de dollars.
Pour Cordahi, «étant donné que la plus grande partie de la dette publique libanaise est détenue par des résidants (surtout par des banques locales), le marché réclame des taux selon sa propre perception du risque. Les investisseurs libanais arbitrent en comparant le couple rendement-risque à celui d’autres émetteurs souverains. Lorsqu’on est basé au Liban, les risques dans d’autres pays paraissent aussi élevés qu’au Liban, alors que la rentabilité est bien supérieure au Liban, du fait de l’écart entre les taux d’intérêt libanais et étrangers».