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Paul Khalifeh

Le facteur égyptien

Les Libanais ont accueilli avec incrédulité la visite à Beyrouth du ministre égyptien des Affaires étrangères, Sameh Chucri, qui a eu une série de rencontres avec les responsables officiels et les principales personnalités politiques du pays. Cette perplexité découle du fait qu’il est difficile d’espérer que le chef de la diplomatie égyptienne soit capable de réaliser une percée dans la complexité libanaise, là où le président français François Hollande, son ministre des Affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, et avant eux bien d’autres visiteurs, ont échoué. Les doutes exprimés par les Libanais sont d’autant plus justifiés que l’influence régionale de l’Egypte n’est plus du tout proportionnelle à sa taille et à la place prépondérante qu’elle occupait historiquement dans le monde arabe. Le pays des Pharaons est confronté à d’énormes défis économiques et sécuritaires, et dépend de plus en plus des milliards saoudiens pour alimenter sa Banque centrale en devises fortes, afin d’acheter le blé nécessaire pour nourrir ses 95 millions d’habitants. Les précisions de l’ambassadeur égyptien à Beyrouth, Mohammad Badreddine, sur le fait que Sameh Chucri n’était porteur d’aucune initiative, et que sa venue au Liban avait un but exploratoire, ont fini par convaincre les rares optimistes qu’il n’y avait rien à attendre de cette visite.
Cependant, la mission de Chucri à Beyrouth semble plus importante qu’elle n’y paraît. Elle intervient alors que la fenêtre d’opportunité pour un déblocage de la présidentielle est encore ouverte pour quelques semaines seulement. Le président du Parlement, Nabih Berry, et avant lui le ministre de l’Intérieur, Nouhad Machnouk, ont clairement dit que la fin de l’année 2016 est le dernier délai pour élire un président, sinon ce dossier crucial sera reporté au printemps 2017, et d’autres complexités liées à la loi électorale et aux élections législatives viendront s’y greffer. La solution sera alors beaucoup plus difficile à imaginer, surtout qu’un vide au niveau du pouvoir législatif n’est pas à exclure.
Le timing de la visite de Chucri est également significatif. Le secrétaire général du Hezbollah, sayyed Hassan Nasrallah, vient juste d’apporter un élément nouveau en laissant entendre qu’il était disposé à discuter d’un éventuel retour au Grand sérail de l’ancien Premier ministre, Saad Hariri. Cette annonce intervient à un moment où des informations faisaient état d’un veto du Hezbollah à un retour de Hariri au pouvoir.
La visite du chef de la diplomatie égyptienne à Beyrouth répond, sans doute, à des «conseils» prodigués par une tierce partie qui s’intéresse à la situation au Liban. S’agit-il des Etats-Unis, de la France, des Nations unies? Peut-être des trois en même temps. Sameh Chucri est surtout venu explorer le terrain, après les derniers éléments, pour le compte de l’Arabie saoudite, qui ne peut plus jouer son rôle traditionnel de médiation maintenant que le royaume n’est plus «à égale distance de toutes les parties». Ce rôle est désormais dévolu au Caire, et l’ambassadeur Badreddine n’a pas manqué de souligner que son pays exprimait de «fortes réserves sur la polarisation entre les sunnites et les chiites» au Liban et dans la région. De la sorte, l’Egypte se donne les moyens et les outils nécessaires pour se présenter en médiateur accepté par tous les protagonistes libanais, ce qui lui permettrait, le cas échéant, de proposer dans les semaines à venir une initiative dont les contours sont certainement en train d’être examinés dans les capitales concernées.
Il ne s’agit pas d’un scénario-fiction, mais d’une possibilité bien réelle. N’est-ce pas l’Egypte qui a pavé, en 2008, la voie pour l’élection de Michel Sleiman après sept mois de vacance à la présidence de la République? Il faut reconnaître, cependant, que la situation est, aujourd’hui, beaucoup plus complexe, et les enjeux de loin plus cruciaux.

Paul Khalifeh      

 

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